Jean GENET - (1910 / 1986)
Le Pêcheur du Suquet… (extraits)
Une complicité, un accord s'établissent entre ma bouche et la queue,
Encore invisible dans sons short azur,
De ce pêcheur de dix-huit ans ;
Autour de lui le temps, l'air, le paysage devenaient indécis.
Couché sur le sable, ce que j'en apercevais
Entre les deux branches écartées de ses jambes nues, tremblait.
Le sable gardait la trace de ses pieds,
Mais gardait aussi la trace du paquet trop lourd
D'un sexe ému par la chaleur et le trouble du soir.
Chaque cristau étincelait.
- comment t'appelles-tu ?
- et toi ?
Depuis cette nuit le voleur aime tendrement l'enfant
Malicieux, léger, Fantasque et vigoureux,
Dont le corps fait frissonner, à son approche,
L'eau, le ciel, les rochers, les maisons, les garçons et les filles.
Et la page sur quoi j'écris.
Ma patience est une médaille à ton revers.
Une poussière d'or flotte autour de lui.
L'éloigne de moi.
Avec le soleil de votre visage vous êtes plus ténébreux qu'un gitan.
Ses yeux :
Parmi les chardons, les épines noires, la robe vaporeuse de l'automne.
Sa queue :
Mes lèvres retroussées sur mes dents.
Le gros orteil de son pied gauche, à l'ongle incarné,
Quelquefois fouille ma narine, quelquefois ma bouche.
Il est énorme mais le pied, puis la jambe y passeraient.…
Les trésors de cette nuit :
L'Irlande et ses révoltes,
Les rats musqués fuyant dans les landes,
Une arche de lumière,Le vin remonté de ton estomac,
La noce dans la vallée,
Au pommier en fleur un pendu qui se balance,
Enfin cette région que l'on aborde le cœur dans la gorge,
Dans ta culotte protégée d'une aubépine en fleur.
De toutes parts les pèlerins descendent.
Ils contournent tes hanches où le soleil se couche,
Gravissent avec peine les pentes boisées de tes cuisses
Où même le jour il fait nuit.
Par d'herbeuses landes, sous ta ceinture
Débouclée nous arrivons la gorge sèche
L'épaule et les pieds las, auprès de Lui.
Dans son rayonnement le Temps même est voilé
D'un crêpe au dessus duquel le Soleil, la Lune,
Et les étoiles, vos yeux, vos pleurs brillent peut-être.
Le Temps est sombre à son pied.
Rien n'y fleurit que d'étranges fleurs violettes
De ces bulbes rugueux.
A notre cœur portons nos mains jointes
Et les poings sur nos dents.
Qu'est ce t'aimer ?
J'ai peur de voir cette eau couler
Entre mes pauvres doigts.Je n'ose t'avaler.
Ma bouche encor modèle une vaine colonne.
Légère elle descend dans un brouillard d'automne.
J'arrive dans l'Amour comme on entre dans l'eau.
Les paumes en avant, aveuglé, mes sanglots
Retenus gonflent d'air ta présence en moi même
Où ta présence est lourde, éternelle.
Je t'aime.
Jean Genet par Alberto Giacometti
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire