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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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dimanche 12 septembre 2010

Retour sur...Lucian Freud



Petit-fils de Sigmund Freud, fondateur de la psychanalyse moderne, Lucian naît à Berlin dans l’entre-deux-guerres. En 1934 ses parents fuient l’arrivée du nazisme en Allemagne pour s’installer à Londres. Ce départ anticipé permet à sa famille d’emmener ses biens. Freud va bénéficier d’une éducation de qualité dans sa nouvelle patrie d’adoption. Il est envoyé, avec ses deux frères, à la Darlington Hall School, école aux idées progressistes, puis à Bryanston, une école plus classique. N’appréciant guère son professeur de dessin, il refuse d’assister aux cours et préfère se consacrer à l’équitation.

En 1945, il se lie d’amitié avec Francis Bacon. Tous deux fréquentent les milieux bohèmes de Londres, dans le quartier de Soho. Ils se verront régulièrement jusque dans les années 1970. En 1946, il séjourne pendant deux mois à l’hôtel d’Isly à Paris. Il y fait la rencontre d’Alberto Giacometti et de Pablo Picasso. Giacometti exerce une certaine influence sur le jeune artiste. Des éléments surréalistes peuvent transparaître dans certaines toiles de cette période, comme The Painter’s Room réalisée en 1944.

Le grand tournant dans sa démarche picturale va se produire en 1958. Influencé probablement par l’inhabituelle fusion de figuration et d’expressionnisme chez Francis Bacon, il renonce aux pinceaux souples et précis, pour les remplacer par des brosses aux poils durs et élastiques. L’aspect caractéristique de sa peinture, sa texture épaisse à la fois précise et expressive, découle de cette modification. Peints dans des tons bruns, gris et blancs, ses portraits témoignent d’une certaine violence scopique exercée par le regard scrutateur du peintre, et reconduite par celui curieux de l’amateur.

Dès le milieu des années 60, Freud se consacre de plus en plus au nu. Les portraits d’après modèles occupent une place dominante dans sa production qui s’échelonne des années 70 aux années 90. C’est sa période de maturité, qui a fait sa réputation.

Peindre pour Freud est un long processus d’exposition d’un sujet à sa propre vue. Un tableau peut facilement l’occuper pendant une ou deux années, durant lesquelles le modèle doit s’exposer une à deux fois par semaine. Cette démarche confirme ce qui se trame entre le modèle et le peintre. Une liaison intense, sorte de télescopage forcé de deux subjectivités amenées à se rencontrer autour du tableau. Dans ces conditions, la pose ne peut être immuable. La durée rend cela impossible. Les corps évoluent, se relâchent. La présence du modèle semble souvent plus importante que l’exactitude de la pose. Freud ne scrute pas simplement la forme, mais aussi et surtout le rayonnement de celui qui se tient face à lui. Les interminables séances se répercutent dans l’ennui ou la fatigue dont témoignent souvent les modèles. Epuisés, endormis, souvent allongés, ils attestent de la pénibilité de la tâche qu’ils supportent.

Cette étroite liaison entre peintre et modèle s’applique aussi aux très nombreux nus qu’il réalise à partir des années 70. Freud ne peint pas des nus quelconques ; il peint plutôt des proches dénudés. La différence est de taille. Cela ne l’empêche pas de se déclarer « biologiste » concernant quant à sa volonté de capter le réel. Freud insiste sur l’animalité de la figure humaine, pour couper court à toute interprétation de portrait psychologique. L’intimité avec les modèles et le regard objectif du biologiste ne sont pas deux choses nécessairement contradictoires. L’importance accordée au corps ne nie pas l’intention de dépeindre la personne.

Lucian Freud est très probablement, comme Nietzsche[3], quelqu’un qui situe l’essence de l’identité humaine dans le corps, et non dans l’abstraction qu’on appelle l’âme. L’épuisement des visages, l’ennui comme expression récurrente entrent eux aussi dans ce schéma. Si le regard a été pendant des siècles la fenêtre de l’âme, la peinture de Freud semble vouloir rompre avec cet usage. Quand il n’est pas impassible et fermé comme pour les portraits de sa mère Lucie, il est tout simplement inexistant comme dans celui aux yeux baissés du peintre Frank Auerbach. L’austérité expressive ou le sommeil de certains modèles sont autant d’indices du rejet de cette fonction signifiante du regard. Un rejet que l’on peut dater puisque, dans ses premiers tableaux, les yeux scintillants peuvent évoquer une certaine expressivité du regard. C’est à partir de 58, que le regard perd sa transparence cristalline. Fermé, endormi, sobre, il semble dorénavant incapable de porter la personne, comme il peut le faire dans Girl with a Kitten en 1947.

Ce sont d’autres parties du corps qui vont prendre le relais, comme les organes génitaux par exemple. Freud pousse le réalisme dans la représentation des parties cachées, notamment masculines, à un point rarement atteint. Cela non pour choquer, mais pour trouver dans ces détails de corps les précieux indices qui vont venir compléter le portrait de la personne, le parfaire. L’exposition sans retenue des parties cachées est une trace, un signe de cette animalité recherchée.

« Mais l’homme éveillé, celui qui sait, dit : Corps suis tout entier, et rien d'autre, et âme n’est qu’un mot pour désigner quelque chose dans le corps. Le corps est une grande raison, une pluralité à sens unique, une guerre et une paix, un troupeau et un pasteur. » Ainsi parlait Zarathoustra, Friedrich Nietzsche.

Extraits du dossier pédagogique du centre pompidou à l'occasion de l'exposition Lucian Freud, l'atelier (texte: Christophe Catsaros)




The painter's room - 1944




Interior in Paddington, 1951




Autoportrait 1962




Painter Working Reflection, 1993




Large Head




Leigh under the Skylight, 1994




Portrait de Leigh Bowery, 1991




Homme nu avec son ami (1978-80)




Sunny Morning, Eight Legs (1997).









Back View (Leigh Bowery), 1992




Nude with Leg Up (Leigh Bowery), 1992




Two men in the studio, 1987-1989

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