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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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mercredi 16 juin 2010

"Futur" (1952-1956)





En octobre 1952 sort le premier journal homosexuel de l’après-guerre"Futur". Il n’y avait eu aucune parution depuis l’interdiction d’ «Inversions» en 1925. Le journal est créé par un jeune homme de 22 ans, Jean Thibault, et se veut dés le départ un journal engagé, anticlérical, contre les « bonnes mœurs » de l’ordre bourgeois établi, contre les hommes politiques de droite et notamment le député homophobe Pierre-Henri Teitgen, membre du MPR, parti politique chrétien. Jean Tibault assure presque seul la rédaction du journal ; il fustige les contrôles policiers dont sont victimes les homosexuels sur les lieux de drague.

Le contexte moral de l’époque est en effet bien difficile. En effet depuis la guerre, le régime de Vichy, entendant lutter contre la dépravation que représente pour lui l'homosexualité, signe une ordonnance en 1942 qui fait de l'homosexualité un délit, l'article 334. A la libération cet article 334 est maintenu.

Aux Etats-Unis la chasse aux communistes de McCarthy se doubla d'une croisade anti-homosexuels. En Grande Bretagne l'homosexualité est tabou, l'affaire des "Cinq de Cambridge" mêlant espionnage et homosexualité va porter la paranoia anti-homos au paroxisme. La Grande Bretagne encouragée par les américains met alors en oeuvre une campagne destinée à identifier les homosexuels dans les services publics, en utilisant les méthodes mises au point par le FBI.

En France dans les années 50, le Préfet de Police de Paris interdit aux homosexuels de se travestir même pour des spectacles. Il est également interdit aux hommes de danser entre eux. Ces sont les années de la rigueur moralisatrice où la censure veille. A la fin des années cinquante, le directeur de la police judiciaire, dans un discours lors d'une réunion d'Interpol décrit le milieu homosexuel comme "un milieu favorable à la délinquance, un "bouillon de culture", où éclosent les virus criminels" et il dénonce la visibilité accrue de l'homosexualité : "Ses adeptes se rencontrent dans certains lieux publics, cafés, bars, cabarets, dont ils constituent la presque unique clientèle ; ils se signalent parfois par un comportement extérieur particulier, par le vêtement notamment qui, sans même parler du travesti interdit par le règlement, trahit aux yeux de tous, les moeurs de certains éphèbes, par la décoloration des cheveux, par le maintien général dont le maniérisme ne laisse aucun doute dans l'esprit"

Malgré cela, aux Etats-Unis, les rapport Kinsey sur la sexualité, en 1948 et 1953 fait scandale en montrant que 50% des hommes interrogés ont déjà ressenti de l'attrait pour un autre homme, et que 37% ont eu au moins un rapport homosexuel ayant mené à l'orgasme. Les premiers groupes de revendication homosexuels apparaissent aux Etats-Unis et en France et se nomment volontiers homophiles. Par ailleurs les écrivains de la Beat Generation rejettent toute norme sexuelle (Allen Ginsberg et Williams Burroughs étaient gays). Les homosexuels commencent à se réunir dans des bars qui leurs sont destinés.

A Paris, tout se passe principalement autour du quartier Saint-Germain, au Flore, à la Reine Blanche, au Royal Saint-Germain, on peut croiser Jean Cocteau, Jean Marais, Jean Genet. Le Fiacre, au 4 rue du cherche-midi, un bar-restaurant spécifiquement homosexuel est particulièrement connu et apprécié. La vie homosexuelle toutefois ne se résume pas au seul quartier de Saint-Germain dans ces années cinquante. La rue du Colisée et l'avenue Gabriel, les Champs-Elysées et autour de la place de l'Etoile, Montparnasse, Montmartre et la rue des Martyrs, la gare Saint-Lazare, la Montagne Sainte-Geneviève célèbre pour son bal où « les hommes sont en robe du soir, les femmes en pantalon », Pigalle, la rue de Lappe près de la Bastille et les grands boulevards en général sont très fréquentés.

La drague est active dans les fameuses vespasiennes, les parcs et jardins, les bois de Boulogne et de Vincennes, les quais de Seine, les Tuileries, le Champ de Mars, les établissements de bains, et les contrôles de police fréquents. La «folle » est le style alors le plus répandu. « On peut circuler à Saint-Germain-des-Prés, le samedi soir, sans être choqué, alors qu’il y a quinze ou vingt ans, à Pigalle, que d’homosexuels de tous genres s’affichaient, que de petits jeunes gens ostensiblement maquillés déambulaient !» (Futur)






C’est dans ce contexte moral que Jean Thibault essaie à travers « Futur » de faire entendre une voix militante. Il n’hésite pas à publier des photos de jeunes gens alors que les relations sexuelles sont interdites avec les moins de vingt-et–un ans (15 ans pour les actes hétérosexuels). Le journal parait tout les mois sur un grand format de quatre pages. Le deuxième numéro est interdit à l’affichage en vertu de la loi de protection de la jeunesse de 1949.

En 1953, son auteur est poursuivit par la justice pour avoir eu des relations sexuelles avec un jeune de moins de vingt-et-un an. Il est condamné à plusieurs mois de prison, durant lesquels le journal cessera de paraitre. Jean Thibault reprendra sa parution à sa sortie de prison. En 1956, « Futur » est condamné pour outrage aux bonnes mœurs, il cesse de paraitre après 19 numéros et son rédacteur doit s’enfuie à l’étranger pour échapper aux poursuites.

Sources : Boomer-café : Les Fifties et l'homosexualité ; Olivier Jablonski (extrait du Dictionnaire des cultures gaies et lesbiennes, Larousse, 2003) ;Hexagone gay ; Des folles de Saint-Germain-des-Prés au fléau social. Georges Sidéris – 2000. Le séminaire gai



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