.
.
.
.
"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
.
.

dimanche 26 novembre 2017


Pornographie


Hervé Joseph Lebrun, 1963. France







De 1975 jusqu’en 1983, sortirent en salles de cinéma en France, 75 films d’un genre cinématographique inédit : le porno homo français. Tous filmés en 16 mm, la plupart munis de visas d’exploitation délivrés par le CNC (Centre national du cinéma), ces films sortirent dans les salles de cinémas parisiennes qui projetaient du porno homo (Le Dragon, La Marotte, le Hollywood Boulevard…) et dans quelques salles en province. Ils furent produits essentiellement par 3 sociétés de production : Les films de la Troïka (Norbert Terry), AMT Productions (Anne-Marie Tensi) et Les films du Vertbois (autour de Jacques Scandelari). Ce genre, subrogé par la vidéo, s’éteint en 1983 avec « Mon ami, mon amour ». Depuis lors, le cinéma pornographique homosexuel n’a plus jamais été distribué dans les salles de cinéma en France.

À travers le témoignage de 8 réalisateurs et acteurs et de nombreux extraits de films, après 5 années d’enquête et de recherche, “Mondo Homo: A Study of French Gay Porn in the 70’s” révèle enfin au grand public l’histoire insolite et oubliée de ces pionniers du cinéma homosexuel français











LA PARENTHÈSE ENCHANTÉE DU PORNO GAY MADE IN FRANCE


Le documentaire «Mondo Homo» exhume la production X hexagonale d'avant la vidéo et le sida, et donne la parole à ses protagonistes. Foutrement passionnant.

C’était avant l’hécatombe du sida, même bien avant l’élection de François Mitterrand. C’est dans cette France giscardienne que s’est produite une révolution sexuelle marquée par la libéralisation de la pilule, la dépénalisation de l’avortement et… l’explosion du porno. Du X hétéro, bien sûr, mais aussi de son pendant homo (alors que l’homosexualité était encore illégale). C’est à cette période foisonnante qu’Hervé Joseph Lebrun rend un hommage stimulant dans son «Mondo Homo», présenté au festival Everybody’s Perfect de Genève et bientôt au LUFF de Lausanne. Sous ce titre-clin d’œil au voyeur et scandaleux «Mondo Cane» de Cavara, Jacopetti et Prosperi, il raconte les tâtonnements jouissifs d’une poignée de gays venus d’horizons divers: gérants de cinéma porno, écrivains, publiciste, artiste de variété ou techniciens.

Cet âge d’or du porno a été de courte durée, de l’apparition de la classification X, en 1974, à sa mort, emporté par le sida et la vidéo. Car on ne parle pas ici de Jean-Daniel Cadinot, qui incarne pour beaucoup le porno gay made in France. A l’époque, on ne filmait pas avec une caméra VHS ou un smartphone, mais avec une équipe technique et un lourd dispositif, sur pellicule 16mm. Au total, pas moins de 75 films X gay ont été projetés dans les salles entre 1976 et 1982. Ils ne le seront jamais plus après 1983.

BAISODROMES

Riche en anecdotes cocasses (un tournage dans un camion garé en pleine après-midi sur un boulevard ou l’irruption d’un Marcel Carné priapique sur un plateau), le documentaire donne la parole à ces pionniers du X, dont les productions semblent le prolongement de leur vie sexuelle débridée. La décor de «Mondo Homo», c’est aussi les cinémas pornos gay parisiens aux noms évocateurs: le Far West, le Dragon, la Marotte… Autant d’incroyables baisodromes (aux affaires florissantes) qui feraient passer les sex-clubs d’aujourd’hui pour des business lounges. La capitale comptait même un théâtre érotique homo. Quant à sa musique, elle est puisée dans les bandes-sons de l’époque, qui va de la disco low-cost au requiem de Beethoven version psychédélique.

«Mondo Homo» est composé d’extraits explicites (avec quelques morceaux de bravoure, dont une hallucinante séquence de phone-sex) entrecoupés de témoignages d’acteurs-réalisateurs 35 ans après. Il communique la frénésie de ces années folles avec une impudeur réjouissante. A 75 ans, Carmelo Petix, ex-cabarettiste au Caire, à Beyrouth ou à Istanbul, se remémore ainsi une scène d’éjaculation faciale d’anthologie.

JAMBON-BEURRE ET HUILE DE MOTEUR

Les protagonistes vivent leurs fantasmes devant la caméra et ils s’en amusent encore aujourd’hui. Les sodomies sont lubrifiées au jambon-beurre ou à l’huile de moteur, on parodie des pubs pour les slips Dim. On explore aussi les nouveaux trips du moment. «On parlait de beaucoup de choses qu’on ne faisait pas encore: poppers , fist…», explique François Vallois au sujet de «Johan» (1976), présenté à Cannes. La même année, «Poing de force», de Jean Estienne, était coupé par la censure pour «atteinte à la dignité humaine». Qu’importe. «C’était la magouille, la loi n’était pas la loi», rigole Benoît Archenoul. Même les descentes de police dans son cinéma porno prenaient des allures de scénario de cul.

«Faire du cinéma porno, c’était revendiquer un acte de liberté.»

«J’avais l’impression d’être dans l’air du temps, résume l’ancien acteur Claude Loir. On n’était pas loin de 1968. Je fais partie de cette génération où les choses bougeaient socialement et sexuellement. J’apportais ma contribution en étant libre. Faire du cinéma porno, c’était revendiquer un acte de liberté.»

La mort, la peur des années sida qui vont suivre apparaît hors-champ, comme cet insaisissable Hitler de pacotille que Piotr Stanislas met en scène dans «Drôle de show» (1982). Elle les rattrapera. Les témoins se souviennent encore avec émotion de Jean-Paul Doux, ancien para au corps de rêve, gigolo du Quartier latin et première icône du X gay hexagonal. Il succombera au virus au début des années 80. «Quand on m’a annoncé sa mort, on m’a fait comprendre que ça allait m’arriver aussi», lâche Carmelo Petix.


Antoine Gessling pour 360°












Images tirées du film "Johan"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire