Egon Schiele (1890-1918. Vienne, Autriche)
J’ai décidé de m’intéresser au nu masculin dans l’œuvre d’Egon Schiele. La quantité de nus peints par Schiele est impressionnante, c'est même le centre de son oeuvre. Je vais donc rédiger plusieurs post pour exposer l’étendue considérable et le côté si particulier des nus masculins chez ce peintre. Les premiers post sont axés sur l’autoportrait nu de l’artiste.
Fondateur du Neukunstgruppe (Groupe pour le nouvel art), Schiele entre en 1906 à l'Académie des beaux-arts de Vienne. Ne pouvant plus supporter la tutelle académique de ses maîtres, il quitte l'Académie en 1909, suivi d'amis partageant les mêmes convictions.
Ses premiers travaux s'inspirent de l' impressionisme, mais très vite, il est attiré par la Sécession Viennoise.
Ses premiers travaux s'inspirent de l' impressionisme, mais très vite, il est attiré par la Sécession Viennoise.
Schiele découvre à Vienne un art différent lors d'une exposition d'artistes du deuxième mouvement de la Sécession viennoise (ou Sezession, ou Secession), plus proche de l'Art nouveau. Agé de 17 ans, il rencontre en 1907 Gustav Klimt, alors âgé de 45 ans, en qui il reconnaît son modèle et maître spirituel. L'admiration est réciproque entre les deux artistes.
Si à ses débuts, Schiele reste proche du Jugendstil (nom donné au mouvement Secession en Allemagne par la revue Jugend), il prend peu à peu ses distances.
Si à ses débuts, Schiele reste proche du Jugendstil (nom donné au mouvement Secession en Allemagne par la revue Jugend), il prend peu à peu ses distances.
Selbstbildnis als Sebastian (Autoportrait en Saint-Sébastien), affiche de son exposition à la galerie Arnot, 1915
Selbstbildnis als Sebastian (Autoportrait en Saint-Sébastien), 1914-1915
Selbstbildnis als Sebastian (Autoportrait en Saint-Sébastien), 1914-1915
La critique est partagée, une petite partie seulement de l'opinion reconnaissant son talent, l'autre part allant même jusqu'à qualifier ses œuvres d'« excès d'un cerveau perdu ». Il adhère en 1911 au groupe « Sema » de Munich, auquel appartiennent déjà Paul Klee et Coubine.
Représenter le nu à Vienne à cette époque n’a rien d’exceptionnel. Tous le font. Les toiles de Klimt, Kokoschka et Schiele montrent des corps nus, des baisers, des caresses, des étreintes et des plaisirs solitaires. Mais là où Klimt s’attache à l’ornementation, ses personnages, parfois simple prétexte, sont perdus dans une toile au décor luxuriant, où les détails foisonnent presque à l’excès, luttant contre la peur du vide, comme si la chair devait s’abandonner à un ordre pictural ; Contrairement à Schiele et Kokoschka, Klimt ne dessine pas un individu reconnaissable, mais plutôt la femme en général, un stéréotype servant de prétexte à son ornementation.
Kokoschka affirme qu’il « faut prendre conscience de la chair au lieu de la satiner dans l’ornement ». Kokoschka évoque une chair métaphorique où se donne à voir les tensions psychiques. Il s’efforce à peindre ce que Freud décrit, les passions humaines et leurs manifestations.
Si Kokoschka réalise quelques nus, entre le style de Klimt et le réalisme cru de Schiele, le corps n’est pas vraiment son outil, la chair n’est qu’une enveloppe masquant une vérité « psychologique » en quête du « Moi » de Freud dont les idées circulent à Vienne à cette époque. Entre 1909 et 1914, il réalise une série de portraits dit « psychologiques » inspirés des personnalités artistiques et littéraires où les grimaces des visages et les torsions des corps dévoilent la fragilité et le doute de leur âme.
Si Kokoschka réalise quelques nus, entre le style de Klimt et le réalisme cru de Schiele, le corps n’est pas vraiment son outil, la chair n’est qu’une enveloppe masquant une vérité « psychologique » en quête du « Moi » de Freud dont les idées circulent à Vienne à cette époque. Entre 1909 et 1914, il réalise une série de portraits dit « psychologiques » inspirés des personnalités artistiques et littéraires où les grimaces des visages et les torsions des corps dévoilent la fragilité et le doute de leur âme.
Oskar Kokoschka, Selbstbildnis (Autoportrait), 1917
Oskar Kokoschka, Akt mit Rücken gekehrt (Nu le dos tourné), 1907
Oskar Kokoschka, Nakt Jugendlich (Adolescent nu), 1908
Oskar Kokoschka, Liebespaar nackt (Couple d'amants nus), 1913
Oskar Kokoschka, Die Windsbraut (La Fiancée du vent), 1913
Oskar Kokoschka, Akt mit Rücken gekehrt (Nu le dos tourné), 1907
Oskar Kokoschka, Nakt Jugendlich (Adolescent nu), 1908
Oskar Kokoschka, Liebespaar nackt (Couple d'amants nus), 1913
Oskar Kokoschka, Die Windsbraut (La Fiancée du vent), 1913
Des trois peintres, Schiele est celui qui pousse le plus loin la représentation du corps. De façon spectaculaire, ses peintures de nus marquent une rupture avec les deux autres artistes. Entre 1907, date de sa rencontre avec Klimt, et 1910 où il découvre son propre style, Schiele n’est qu’un pâle imitateur de Klimt. La rupture stylistique se produit en 1910. Si les corps restent, le trait change. Passant des contours élégants et simplifiés avec de nombreux procédés ornementaux, il passe de la volute à la hachure, de la délicatesse à la violence.
Selbstakt, Hand an Genitale (Autoportrait nu, main sur le sexe), 1911
Kniender Akt, Selbstporträt (Nu à genou (Autoportrait), 1910
Kniender Akt, Selbstporträt (Nu à genou (Autoportrait), 1910
Le décès de son père ternit sa jeunesse et lui donne une vision du monde sombre et torturée. Retiré des chemins de fer, il tente de se suicider en 1904 en se jetant dans une rivière. Rongé par la syphilis, secoué par des crises de démence, il meurt peu de temps après. La mort, et son pendant la vie, est fixée dans l’œuvre de son fils.
Avec ses corps disloqués, aux formes squelettiques dans des poses excessives et improbables qui leur donnent l’allure de marionnettes ou d’automates (Egon Schiele ayant étudié les attitudes de certains déments dans un asile psychiatrique). Avec des visages taillés à la serpe, des yeux en bouton de culotte, les corps sont plus proches du cadavre que de l’objet de désir. Ses coloris sont les tons bruns, rouges, noirs et verts qui amplifient l'aspect dérangeant et inquiétant de ses peintures. La pâleur des chairs invoquent la mort.
Avec ses corps disloqués, aux formes squelettiques dans des poses excessives et improbables qui leur donnent l’allure de marionnettes ou d’automates (Egon Schiele ayant étudié les attitudes de certains déments dans un asile psychiatrique). Avec des visages taillés à la serpe, des yeux en bouton de culotte, les corps sont plus proches du cadavre que de l’objet de désir. Ses coloris sont les tons bruns, rouges, noirs et verts qui amplifient l'aspect dérangeant et inquiétant de ses peintures. La pâleur des chairs invoquent la mort.
Hockender männlicher Akt (Selbstporträt)(Homme nu accroupi (Autoportrait)), 1914
kopflos Selbstbildnis (Autoportrait sans tête), 1911
kopflos Selbstbildnis (Autoportrait sans tête), 1911
La profusion des dessins à caractère érotique de Schiele, couplée à des soupçons de détournement de mineurs à son encontre, conduisent à son arrestation en 1912. Il passe vingt et un jours en détention provisoire. Au procès, le juge le condamne à trois jours supplémentaires pour outrage à la morale publique en exposant dans un lieu public accessible aux enfants des œuvres outrageantes aux bonnes mœurs, le détournement de mineur n'étant pas retenu. Une centaine de ses peintures, majoritairement des nus, sont confisquées par le tribunal départemental, et le juge brûle symboliquement l’un de ses dessins dans la salle du tribunal.
Son sentiment d'injustice et de révolte grandit : il réalise un certain nombre de dessins érotiques de plus en plus provoquants. Sa révolte contre la société est exacerbée et trouve son expression dans un certain nombre d'œuvres comme par exemple "Le Cardinal et la Nonne" ou dans des autoportraits où il se peint en une victime incomprise.
« Empêcher un artiste de travailler est un crime, c’est tuer la vie dans l’œuf ». « Je ne me sens pas puni, je me sens purifié !»
« Empêcher un artiste de travailler est un crime, c’est tuer la vie dans l’œuf ». « Je ne me sens pas puni, je me sens purifié !»
Dans son œuvre, le nu occupe une place très importante. Il est en effet fasciné par le corps humain, par sa précarité et par les pulsions dont il est l'objet. L'œuvre de Schiele occupe également une place essentielle dans l'histoire des relations entre art et érotisme.
Certains de ses nus prennent des poses explicites : par exemple, le modèle de Vu en rêve (1911) ouvre son sexe face au spectateur. L'artiste a aussi largement traité le thème de la masturbation féminine et masculine, celui de l’homosexualité féminine dans des œuvres que l'on pourrait qualifier de pornographiques encore aujourd'hui.
Certains de ses nus prennent des poses explicites : par exemple, le modèle de Vu en rêve (1911) ouvre son sexe face au spectateur. L'artiste a aussi largement traité le thème de la masturbation féminine et masculine, celui de l’homosexualité féminine dans des œuvres que l'on pourrait qualifier de pornographiques encore aujourd'hui.
Schiele jette sur la toile ses obsessions et ses conflits intérieurs. Obsession du sexe, obsession des nymphettes, obsession de la religion. Elevé dans la religion catholique qui l’a marqué, rétif à toute autorité, orgueilleux et dépressif, il jette sur la toile ses tensions contradictoires érotiques, sous la forme de pantins hypersexués.
En 1911, Schiele écrit dans une lettre : « Je peins la lumière qui émane de tous les corps. L’œuvre d’art érotique, elle aussi, a un caractère sacré ». Dans l’œuvre de Schiele, Eros et Thanatos sont liés.
Si Kokoschka s’attache au psychologique, Schiele s’attache au corps, à la chair. Il abandonne totalement le décor, et peint des sujets nus sur un fond uni, monochrome qui met en valeur le sujet, il dessine vite d’un trait précis, pour capter l’immédiateté, la spontanéité de la scène.
Il exhibe le corps de jeune filles et de jeunes garçons rencontrés dans la rue. Il peint une nudité désespérée, tourmentée : « Les jeunes filles blanches, pâles, me montraient leurs jambes noires et leurs jarretières rouges et elles me parlaient avec des doigts noirs ». Ses modèles, dans des positions parfois très érotiques, voire pornographiques, exhibent leur sexe dans des poses obscènes, leurs poils pubiens et ceux de leurs aisselles, les vagins ensanglantés s’offrent au spectateur.
Il donne également aux mains une grande importance, avec des poses très expressives. Mais loin d’être un libertin, il se définit comme « un gentil garçon issu d’une famille bourgeoise respectable », il tangue entre une attirance et une peur de la sexualité (son père est mort d’une maladie vénérienne). La radicalité de Schiele est d’assumer l’ambivalence de sa sexualité, entre peur et plaisir.
La provocation de certains nus a amené à rapprocher Schiele du courant expressionniste qui marque alors l’Allemagne.
Il exhibe le corps de jeune filles et de jeunes garçons rencontrés dans la rue. Il peint une nudité désespérée, tourmentée : « Les jeunes filles blanches, pâles, me montraient leurs jambes noires et leurs jarretières rouges et elles me parlaient avec des doigts noirs ». Ses modèles, dans des positions parfois très érotiques, voire pornographiques, exhibent leur sexe dans des poses obscènes, leurs poils pubiens et ceux de leurs aisselles, les vagins ensanglantés s’offrent au spectateur.
Il donne également aux mains une grande importance, avec des poses très expressives. Mais loin d’être un libertin, il se définit comme « un gentil garçon issu d’une famille bourgeoise respectable », il tangue entre une attirance et une peur de la sexualité (son père est mort d’une maladie vénérienne). La radicalité de Schiele est d’assumer l’ambivalence de sa sexualité, entre peur et plaisir.
La provocation de certains nus a amené à rapprocher Schiele du courant expressionniste qui marque alors l’Allemagne.
Exalté, violent, Schiele incise au scalpel la chair. Celle de ses modèles, mais aussi sa propre chair. Schiele a fait près d'une centaine d'autoportraits se représentant parfois nu, avec un visage desséché et tourmenté, ou affligé d'un strabisme impressionnant, allusion humoristique à son nom de famille: en effet, le verbe « schielen » signifie loucher en allemand, et nombre de critiques hostiles à son art n'hésitaient pas à en faire des jeux de mots.
Selbstdarstellung, 1910
Sitzendes Paar - Schiele mit seiner Frau (Couple assis- Schiele et sa femme), 1910
Sitzendes Paar - Schiele mit seiner Frau (Couple assis- Schiele et sa femme), 1910
Le nombre de ses autoportraits nus est impressionnant, montrant aussi son obsession de lui même, l’obsession de sa sexualité, de son propre corps, et de sa mort. Il est également orgueilleux, sûr de son génie, il est un artiste, et par cela il est libre de tout montrer, liberté de montrer crûment, sans artifice. Ainsi dans l’hostie rouge (provocation religieuse ?), il se représente en érection avec un phallus démesuré tenu par une jeune fille. Le phallus se fait idole. Ou encore dans son autoportrait se masturbant de 1911.
Die Rote Hostie (L'hostie rouge), 1911
Eros (autoportrait se masturbant), 1911
Selbstbildnis maturbierend (Autoportrait se masturbant), 1911
Eros (autoportrait se masturbant), 1911
Selbstbildnis maturbierend (Autoportrait se masturbant), 1911
Mais ce qu’il y a de plus troublant dans ses œuvres n’est pas l’exhibition des corps et des sexes. Ce qui trouble est le regard de ses sujets, un regard d’invite sexuelle qui foudroie le regard du spectateur et qui le plaçant dans le rôle d’un voyeur d’où toute innocence est bannie, génère un sentiment de gène.
Schiele a laissé environ trois cents peintures, dix-sept gravures et lithographies, deux gravures sur bois, de nombreuses sculptures et 3000 dessins, aquarelles ou gouaches.
La signature elle même de l'artiste prend un sens dans ses tableaux. Il accorde beaucoup d'importance à la composition de celle ci où il indique son prénom, son nom et la date sous une forme close, comme un cachet d'authentification.
Selon les toiles, il appose parfois une ou plusieurs signatures, signifiant en cela celles qui étaient plus importantes pour lui.
Selon les toiles, il appose parfois une ou plusieurs signatures, signifiant en cela celles qui étaient plus importantes pour lui.
Egon Schiele meurt à 28 ans, le 31 octobre 1918, de la grippe espagnol, trois jours après sa femme, alors que son œuvre abordait un nouveau tournant, plus apaisé, plus équilibré, où les corps sont moins torturés, comme avec son tableau « La famille » (lui qui ne sera jamais père), de 1918.
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