.
.
.
.
"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
.
.

lundi 28 novembre 2016





Paul Klee, 1879-1940. Allemagne



"L'ironie à l'oeuvre"









À l’âge de 22 ans, Paul Klee déclare dans son journal : « Je suis Dieu ». Peu de temps après, il ajoute dans une lettre à sa fiancée Lily Stumpf : « je me contente désormais de la belle chose auto-ironie ». Cet état d’esprit l’accompagnera tout au long de sa vie. « Chez lui, le goût de la satire a toujours été très fort, de l’ironie, de toutes ces choses qui manquent un peu de sérieux », commentera plus tard son fils Felix.

Tout « doit être plaisanterie, et tout doit être sérieux, tout offert à cœur ouvert, et profondément dissimulé. »

« Je sers la beauté en dessinant ses ennemis. (caricature, satire) », écrit-il dans son journal en 1901.

Pour lui, l’art devrait être « un jeu avec la loi » ou, selon une expression qui lui est chère, « une faille dans le système ».

« les lois ne doivent être que les bases sur lesquelles il y a la possibilité de s’épanouir. »

---------------------------------------



Klee a été initié au dessin très tôt par sa grand-mère qui lui a enseigné le maniement de la mine de plomb, du crayon et des pinceaux. A l'école, c'est un enfant rebelle qui remplit ses cahiers de caricatures irrévérencieuses. Ses dessins sont précieusement conservés par la famille, et Klee lui même les inscrira au catalogue de ses oeuvres en les qualifiant de dessins « fantaisistes illustratifs. » Il se présente en 1898 à l'Académie des beaux-arts de Munich, mais il est refusé et on le dirige plutôt vers l'atelier d'Heinrich Knirr (1862-1944), où il étudie le dessin figuratif. En octobre 1900, Klee est admis à l'Académie des beaux-arts de Munich, dans l'atelier de Franz von Stuck. Il est dans la même classe que Vassily Kandinsky, toutefois les deux artistes n'ont pas d'affinité. Ils se rapprocheront vers 1911. Klee suit des cours d'histoire de l'art, d'anatomie et il apprend la technique de la gravure et de la sculpture. 

En 1901, il visite Rome, Naples, Florence, Gênes et découvre l'architecture de la Renaissance, Michel-Ange et les premiers maîtres du Quattrocento. En 1904, à Munich, il découvre Aubrey Beardsley, William Blake, Francisco Goya et James Ensor. À Berne, il voit des œuvres de Jean-Baptiste Corot. La satire se présente alors pour Klee comme un mode d’expression moderne susceptible de réunir deux approches divergentes de l’art et de la vie : d’une part, l’affirmation de valeurs idéales élevées et, d’autre part, un point de vue critique sur l’état du monde. Klee se lance ainsi dans la réalisation de caricatures dessinées, gravées ou peintes sous verre, dans lesquelles s’affirme sa volonté de distanciation à l’égard de la société contemporaine.

En 1905, lors d'un voyage à Paris, il rencontre les impressionnistes. Il admire en particulier Édouard Manet, Claude Monet, Pierre Puvis de Chavannes et Auguste Renoir. La lumière, instrument de toute représentation telle que la concevaient les impressionnistes, n'était pas pour lui liée au problème de la couleur, Klee était plutôt préoccupé par les problèmes de tonalité, ce qui aboutit au développement de l'aquarelle noire. Il se tourne à partir de se moment vers la peinture à l'huile. 







Zwei Männer, einander in höherer Stellung vermutend, begegnen sich (Deux hommes, chacun se soupçonnant en position supérieure, se rencontrent) de la série Inventionen, 1903. Dessin, 11.7 x 22.6 cm (Planche 14.8 x 26.4 cm). MoMA, NY








Jungfrau im Baum (Jeune fille dans un arbre) de la série Inventionen, 1903. Dessin,23.7 x 29.7 cm (Planche 31.7 x 41.6 cm). MoMA, NY








Ein Mann versinkt vor der Krone (Un homme plonge devant la couronne) de la série Inventionen, 1904. Dessin, 15.9 x 15.9 cm (Planche 38.9 x 30.4 cm). MoMA, NY








Komiker (comédien) de la série Inventionen, 1904. Dessin, 15.3 x 16.8 cm (Planche 40 x 30.8 cm). MoMA, NY








Perseus [Der Witz hat über das Leid gesiegt] (Persée, La plaisanterie a triomphé de la souffrance), 1904. Dessin,12.7 x 14.3 cm (Planche 42 x 31.8 cm). MoMA, NY








Der Held mit dem Flügel (Le héros avec les ailes) de la série Inventionen, 1905. Dessin, 25.4 x 15.9 cm (Planche 40.7 x 30.7 cm). MoMA, NY








Drohendes Haupt (Tête menaçante) de la série Inventionen, 1905. Dessin, 19.6 x 14.6 cm (Planche 40.2 x 30.5 cm). MoMA, NY








Greiser Phoenix (Phoenix vieillisant) de la série Inventionen, 1905. Dessin, 26.3 x 19.2 cm. MoMA, NY




En 1910, il commence à exposer au Musée des beaux-arts de Berne, à la Kunsthaus de Zurich et à la galerie de Winterthur, pour la plupart des eaux-fortes qu'il nomme « peinture-dessins ». En 1911, à Munich, Klee se fait connaître en même temps que d'importants artistes : Vassily Kandinsky, Franz Marc, Hans Arp, Marianne von Werefkin. Ceux-là même qui vont participer à une exposition montée par Marc et Kandinsky : « Der Blaue Reiter » (Le Cavalier bleu). 

Après la deuxième exposition du « Cavalier bleu », Klee se rend à Paris, chez Wilhem Uhdenote, où il voit les œuvres de Robert Delaunay, Henri Rousseau, Georges Braque, Pablo Picasso, Maurice de Vlaminck. Tous les deux très impliqués dans la couleur, un dialogue s'instaure entre Delaunay et lui. La découverte du cubisme, celui de Picasso et de Robert Delaunay, dès la fin de l’année 1911 à Munich, aide le jeune artiste à trouver sa voie. Les inventions françaises nourrissent désormais sa recherche picturale. Tout en s’inspirant du vocabulaire prismatique, à travers des dessins au style enfantin, Paul Klee ironise sur la décomposition cubiste des figures qui les prive de leur vitalité.






Bahnhof (Gare), 1911. Pointe sèche, 14.6 x 19.7 cm (Planche, 29 x 40.9 cm). MoMA, NY








Die Gehängten (Les pendus), 1913. Encre sur papier sur carton, 32.4 x 24.8 cm. MoMA, NY








Mit dem roten X (Avec des X rouges), 1914. Aquarelle sur papier sur carton, 32,7 x 25,1 cm. MoMA, NY




En 1914, Paul Klee est cofondateur du mouvement artistique « La Nouvelle Sécession de Munich », à l'instigation de Wilhelm Hausenstein avec Alexi von Jawlensky, Vassily Kandinsky, Gabriele Münter et Alexander Kanoldt. La même année, il voyage en Tunisie avec August Macke. C'est là qu'il a la « révélation de la couleur ». À Kairouan, il note dans son journal : « La couleur me possède […] Je suis peintre. »






Schnecke (Serpent), 1914. Encre sur papier sur carton, 25.1 x 32.4 cm. MoMA, NY








Spiegelndes Fenster (Fenêtre réfléchissante), 1915. Dessin, 15.9 x 11.5 cm (Planche, 33.4 x 23.9 cm). MoMA, NY








Dämon über den Schiffen (Le démon au-dessus du bâteau), 1916. Aquarelle et encre sur papier avec de l'encre sur les bords, 23.7 x 20.7 cm. MoMA, NY








Vorführung des Wunders (Présentation du Miracle), 1916. Gouache, plume et encre sur tissu plâtré, monté sur carton, 29.2 x 23.6 cm. MoMA, NY




Après la Guerre, une imagerie de figures mécanisées apparaît dans l’œuvre de Paul Klee. Inspiré par ses expériences dans les services d’aviation militaire, l’artiste transforme les oiseaux en avions, souvent en formation d’assaut. L’esthétique de la machine est en vogue dans les cercles dadaïstes – de Francis Picabia à Raoul Hausmann. Le contact avec les dadaïstes de Zurich ravive alors notablement l’intérêt de Klee pour les représentations de machines et d’appareillages, ainsi que pour les effets produits par leurs mécanismes. Une exposition des tableaux de Klee est organisée en 1917 à la galerie Der Sturm de Berlin. Ses œuvres obtiennent un grand succès, et le journal de la Bourse de Berlin fait paraître un article élogieux sur son travail.

Il crée des êtres hybrides, à la fois humains et objets. L’artiste s’empare du motif de l’automate ou de la marionnette, non seulement animé par son admiration pour des auteurs romantiques comme Heinrich von Kleist et E.T.A. Hoffmann, mais surtout pour mieux dénoncer, par le truchement de la schématisation mécanique, la perte de vitalité et le rétrécissement de la vie intérieure à l’heure de la rationalisation industrielle. « Quand la machine enfantera-t-elle ? » ironise-t-il. Ses créatures oniriques suscitent l’attention du groupe surréaliste en germe autour d’André Breton, qui l’invite à participer à leur première exposition collective en 1925 à la galerie Pierre, à Paris.






Schluss des letzten Aktes eines Dramas (Conclusion du dernier acte d'un drame), 1920. Dessin de transfert d'huile, aquarelle et encre sur papier, 24,1 x 33,3 cm. MoMA, NY









Hoffmanneske Szene (scène Hoffmannesque) du portfolio Neue europäische Graphik, 1. Mappe Meister des Staatlichen Bauhauses in Weimar, 1921. Lithographie, 31.8 x 22.8 cm. MoMA, NY




Au Bauhaus, où Klee enseigne depuis 1921, l’engouement pour la technique commence également à s’imposer, elle est notamment visible dans les figures d’artefact développées par Oskar Schlemmer. Adoptant la posture du funambule, Klee commence un exercice de corde raide, cherchant un équilibre entre son approche intuitive et les nouveaux dogmes contemporains. Ainsi reprend-il certains éléments des idiomes modernistes tels que la grille, tout en déjouant sa rigidité. Ses tableaux structurés par des carrés évoquent tour à tour des rythmes musicaux, des peintures de vitraux, des tapisseries, des parterres multicolores ou encore des champs vus d’en haut.

Il réinterprète les théories de Kandinsky sur la coloration des formes géométriques, insère des corps gisant dans des dessins analytiques, ou encore emploie la technique de pulvérisation des pigments non pas afin de produire des surfaces d’aspect impersonnel, mais pour concevoir des portraits clownesques. Selon Klee, « les lois ne doivent être que les bases sur lesquelles il y a la possibilité de s’épanouir ».





Sterbende Pflanzen (Plantes en train de mourir), 1922. Aquarelle, crayon et encre sur papier avec bord à l'aquarelle sur carton, 64.8 x 47.9 cm. MoMA, NY








Die Zwitscher-Maschine (La machine à gazouillis), 1922. Dessin de transfert d'huile, aquarelle et encre sur papier avec gouache et encre sur les bords sur carton, 64,1 x 48,3 cm. MoMA, NY








Das Scherzo mit der Dreizehn (Sherzo [Scherz = Plaisanterie] avec le 13), 1922. Dessin de transfert d'huile, aquarelle, encre et crayon sur papier, 27.9 x 35.9 cm. MoMA, NY








Blumen im Wind (Fleurs dans le vent), 1922. Aquarelle et encre sur papier sur carton, 30,5 x 21 cm. MoMA, NY








Bauhaus Ausstellung Weimar 1923 (Exposition de Bauhaus à Weimar), 1923. Lithographie, 15 x 10 cm. MoMA, NY








Bauhaus Ausstellung Weimar 1923, 1923. Lithographie, 15 x 10 cm. MoMA, NY (2)








Mädchen mit Puppenwagen (Fille avec un chariot de poupée), 1923. Dessin de transfert d'huile et aquarelle avec des bord à l'aquarelle sur carton, 49,2 x 29,2 cm. MoMA, NY








 Schauspieler Maske (Masque d'acteur), 1924. Huile sur toile montée sur bois, 36.7 x 33.8 cm. MoMA, NY




À partir du milieu des années 1920, de plus en plus insatisfait de sa situation au Bauhaus, Klee multiplie les voyages. Associés à la lecture de revues et d’ouvrages spécialisés, les séjours en Italie et en Égypte stimulent chez lui un intérêt nouveau pour les arts du passé et les cultures lointaines. Klee introduit dans son œuvre des éléments picturaux évoquant des mosaïques anciennes, la civilisation pharaonique, ou encore les figures et signes gravés sur les parois des grottes au paléolithique. 

Le mode d’appropriation choisi par Klee n’est pas celui de la citation, mais le simulacre. En reproduisant les effets qu’exerce le temps à la fois sur l’objet (usure, moisissure, érosion) et son contenu, il confère à ses œuvres un caractère parodique. Si Klee puise dans le répertoire des « signes » de cultures « primitives » ou non-occidentales, il ne fait que mimer les principes de leur organisation initiale.





Früher Morgen in Ro... (Petit matin à Ro...), 1925. Aquarelle sur papier sur carton, 41,9 x 54 cm. MoMA, NY








Rund um den Fisch (Autour du poisson), 1926. Huile et tempera sur toile marouflée sur carton, 46,7 x 63,8 cm. MoMA, NY








Geschenke fur "J" (Cadeaux pour "J"), 1928. Huile, encre et gesso sur toile marouflée sur bois, 40 x 55,9 cm. MoMA, NY








Höhe! (En haut!), 1928. Dessin, 23 x 23 cm (Planche, 44.5 x 39.6 cm). MoMA, NY








Nicht endend (Sans fin), 1930. Dessin, 17.8 x 13.7 cm (Planche, 27.9 x 22.3 cm). MoMA, NY








Im Gras (Dans l'herbe), 1930. Huile sur toile, 42.1 x 52.5 cm. MoMA, NY







Maske der Angst (Masque de la peur), 1932. Huile sur toile de jute, 100,4 x 57,1 cm. MoMA, NY




L’avènement de Hitler précipite son retour à Berne, en 1933. Là, Klee se mesure à Picasso, redécouvert à Zurich lors de la grande rétrospective présentée par le Kunsthaus, en 1932. Il y découvre le « surréalisme » du peintre espagnol, notamment ses grands tableaux de figures féminines et ses métamorphoses biomorphes. Ces deux innovations fécondent le travail de Klee après la période du Bauhaus et stimulent la production de ses dernières années.

Les compositions déformées que lui inspire Picasso deviennent parfois l’occasion d’un commentaire doux-amer sur sa condition d’artiste exilé et malade, quand celui-ci ne se fait pas au moyen des énigmatiques signes noirs qui se généralisent dans son œuvre à partir de 1937. De façon générale, Klee contrecarre la terreur par une iconographie enfantine et ludique dans laquelle les signes se métamorphosent en bonshommes allumettes qui dansent non pas de joie, mais de peur.






Geist eines Briefes (Fantôme d'une lettre), 1937. Pâte pigmentée sur papier journal, 33 x 48,6 cm. MoMA, NY







Hafen mit Segelschiffen (Port et voiliers), 1937. Huile sur toile. 80 x 60,5 cm. Centre Pompidou, Paris







Heroische Bogenstriche (Inclinaisons héroïques), 1938. Pâte pigmentée sur papier journal sur tissu teint sur carton, 73 x 53 cm. MoMA, NY




Ses derniers tableaux prennent de l’ampleur et adoptent un vocabulaire pictural à la fois simplifié et puissant, qui entre en résonance avec la situation politique et semble braver le déclin de son corps rongé par une sclérodermie à partir de 1935. Dans un ultime renversement dialectique de sa situation critique, les moyens plus élémentaires qu’adopte Paul Klee dans ses dernières œuvres lui permettent d’exprimer avec force la détresse contemporaine, celle de l’humanité, et la sienne.

L’historien d’art américain Robert Goldwater, dans son ouvrage séminal Le Primitivisme dans l’art moderne, commente ainsi : « Dans le monde de Klee aussi, des moyens apparemment enfantins sont employés pour transmettre des commentaires adultes, obliques, mais avec une ironie romantique et un certain détachement intellectuel. » De ses débuts satiriques à ses difficiles dernières années, Klee ne renoncera jamais à ce mode opératoire. 







(Source : MoMa, Wikipédia et Angela Lampe in Code Couleur, n°25, mai-août 2016, pp. 10-15)


3 commentaires:

  1. I love all the collection you have shared..Thanks for sharing this!

    RépondreSupprimer
  2. You're welcome Adam. I have discoverded Paul klee since a few time and I love him too. Thank you to follow.

    RépondreSupprimer
  3. Il y a 46ans lors de mes cours en histoire de l'art au collège qu'on m'a fait découvrir ce grand artiste parmi tant d'autres comme Kandinsky, Arp,Juan Gris, Piet Mondrian et bien d'autres.
    La période du Bauhaus avec Gropius aussi fut le début de l'esthétique dans la fonctionnalité de l'objet seule..
    Les années 20-30 furent si riche en débat sur l'esthétisme qu'elles ont influencé notre architecture et nos mobiliers modernes.

    RépondreSupprimer