Federico García Lorca, 1898-1936. Espagne
Un mois avant sa mort, alors que ses amis le pressent de fuir la guerre civile naissante, Federico García Lorca regagne Grenade. Il sera fusillé le 19 août 1936, victime de la traque menée contre les communistes et les homosexuels par des milices franquistes. Son cadavre sera jeté dans une fosse commune à Vìznar. Même s’il n’a jamais été militant, il était un étendard de la République et des libertés. Ses œuvres seront interdites sous le régime de Franco jusqu’en 1953.
Lorca est né en 1898. C’est « l’année du désastre », qui voit l’Espagne perdre les derniers restes de son empire, les Philippines, Porto Rico et Cuba. Il faut remplacer le sucre de canne. Federico García père fera fortune dans la betterave. Il a hérité de sa première femme, dont il n’a pas eu d’enfants, de bonnes terres dans la vega, la fertile vallée de Grenade.
En 1930, après la chute du dictateur Miguel Primo de Rivera, il retourne en Espagne après la proclamation de la République espagnole et participe au deuxième congrès ordinaire de l'Union fédérale des étudiants hispaniques en novembre 1931. Le congrès a décidé de construire une "Barraca" (théâtre étudiant subventionné) dans le centre de Madrid où pourront être produites des pièces importantes pour le public, dont certaines des propres pièces de Garcia Lorca , y compris ses trois tragédies grand Bodas de sangre (1933), Yerma (1934), et La Casa de Bernarda Alba (1936).
Quand la Guerre civile espagnole éclate en juillet 1936, Lorca quitte Madrid pour Grenade, même s'il est conscient qu'il va vers une mort presque certaine dans une ville réputée pour avoir l'oligarchie la plus conservatrice d'Andalousie.
« A Grenade s’agite la pire bourgeoisie d’Espagne », avait un jour déclaré Lorca. A peine revenu dans cette ville provinciale et conservatrice, il y donne une lecture de sa dernière pièce, La Maison de Bernarda Alba. C’est l’histoire d’une famille étouffée par la religion, les conventions, l’argent, l’autorité.
Il envisage de gagner le Mexique. Mais il veut partir avec Juan Ramirez de Lucas, un étudiant qui rêve d’être acteur et dont il est tombé amoureux. Le jeune homme, qui est encore mineur – il a 19 ans –, s’est rendu à Albacete pour tenter d’obtenir l’autorisation de ses parents. De la Huerta de San Vicente, Federico téléphone, écrit une dernière lettre: «Je pense beaucoup à toi, entre les lignes tu dois lire toute l’affection que j’ai pour toi et toute la tendresse que mon cœur emmagasine.»
Le couple s’était connu dans une Madrid républicaine en pleine ébullition. L’étudiant en administration publique menait un vie parallèle de comédien au club Teatral Anfistora, où Lorca créait ses pièces. Auteur à succès, figure haïe des factions d’extrême droite, ses amis poussaient alors le poète à s’exiler au Mexique, pour sa sécurité.
Dans le tumulte de la guerre civile, l’arrestation du poète dans la maison des Rosales, puis son exécution, ne furent connues que des semaines plus tard.
Après deux années de recherches « exhaustives » selon le quotidien espagnol, l’écrivain Manuel Francisco Reina est aujourd’hui persuadé que le jeune Ramirez de Lucas était le héros des derniers « Sonetos del amor oscuro »
Surnommé « Loca » (la folle) par une revue fasciste, Lorca fut « torturé, surtout dans le cul » comme s'en vantait encore des années plus tard l'un de ses bourreaux qui était fier d'avoir « foutu deux balles dans le cul de cette tapette. »
En 1971 déjà, Fernando Arrabal, dans son film Viva la Muerte, montrait la façon atroce dont ce meurtre fut perpétré. Federico fut en effet achevé de deux balles dans l'anus, comme l'écrit Ian Gibson dans sa biographie parue en 2011 en France.
Il a fallu attendre 1984 pour que le quotidien conservateur ABC publie Les sonnets de l'amour obscur, onze poèmes, écrits en quelques jours à Valence. Mais l’adjectif « obscur » avait disparu. Et il a fallu attendre 2010 et la mort de son héros, Ramirez de Lucas, pour apprendre que ces sonnets n'étaient pas destinés à une femme comme voulait le faire croire la famille de Lorca et les éditeurs, mais à un homme. L'homosexualité de Lorca a été très longtemps un sujet tabou en Espagne. Or l’homosexualité de Lorca doit être vue comme une des clés de sa création. Il fut l’ami et l’amoureux de Salvador Dali auquel il consacra « une « Ode ». Mais il semble que ses tentatives de séduction trouvèrent lettre morte.
Lorca et Dali
Lorca et Dali
Lorca et Dali
Les sonnets de l'amour obscur
¡Ay voz secreta del amor oscuro !
Ô voix secrète de l’amour obscur !
Sonnet de la douce plainte
J'ai peur de perdre la merveille
de tes yeux de statue, et l'accent
que, pendant la nuit, pose sur ma joue
la rose solitaire de ton haleine.
J'ai peine à n'être en cette rive
qu'un tronc sans branches; et ce qui me désole
est de ne pas avoir la fleur, pulpe ou argile,
pour le ver de ma souffrance.
Et si toi tu es mon trésor occulte,
si tu es ma croix, ma douleur mouillée,
si je suis le chien de ton domaine,
ne me laisse pas perdre ce que j'ai gagné
et décore les eaux de ton fleuve
avec les feuilles de mon automne désolé.
DANS LES BOIS DES CÉDRATS DE LUNE
RÉFLEXION
Homme qui vas et viens,
fuis le fleuve et le vent,
ferme les yeux et puis…
puis vendange tes larmes.
L'âme tenue à un fil,
oublie la question,
néglige les faucilles
de l'interrogation.
La question est le lierre
qui nous couvre et nous égare.
Elle fait tourner sous nos yeux
prismes et carrefours.
La réponse est la même
question déguisée.
Elle s'en va comme source
et revient en miroir.
DANS LES BOIS DES CÉDRATS DE LUNE
PERSPECTIVE
Dans mes yeux
s'ouvre le chant hermétique
des graines qui
n'ont pas fleuri.
Toutes rêvent d'une fin
irréelle et distincte.
(Le blé fait le rêve
d'énormes fleurs jaunes.)
Toutes rêvent d'étranges
aventures dans l'ombre.
De fruits inaccessibles,
de vents apprivoisés.
Nulle ne se connaît.
Fourvoyées et aveugles,
leurs parfums leur font mal,
à jamais prisonniers.
Chaque graine imagine
un arbre généalogique
qui couvre tout le ciel
de tiges et de grappes.
Dans l'air s'étirent
des végétations incroyables,
de grandes branches noires
et des roses de cendre.
La lune presque éteinte
de fleurs et de ramures
se défend de ses rayons
comme un poulpe d'argent.
Dans mes yeux
s'ouvre le chant hermétique
des graines qui
n'ont pas fleuri.
SONNET DE LA GUIRLANDE DE ROSES
Cette guirlande ! vite ! car je meurs !
Tresse-la vite ! chante ! gémis ! chante !
Car l’ombre trouble ma gorge et me hantent
à nouveau de Janvier les mille lueurs.
De ce que tu m’aimes à ce que je t’aime,
vent d’étoiles et végétal frémissement,
d’une foison d’anémones le gémissement
obscur porte une année à son extrême.
Jouis du frais paysage de ma chair rompue
saccage mes joncs et mes ruisseaux déliés,
bois sur ma cuisse de miel mon sang épandu.
Mais vite ! vite ! Qu’unis, enlacés,
bouche recrue d’amour et âme mordue,
le temps nous trouve complètement brisés.
Les dessins
Federico Garcia Lorca Muerte, 1934
Federico García Lorca El beso, 1927
1925
Saint Jacques, 1924 dédicacé à Antonio de Luna
Lettre autographiée signée, New York, 1er octobre 1929, à Herschel et Norma Brickell
La guitare Dessin surréaliste signé et dédicacé à Antoine Flores. Encre sur papier. 16 x 10,5 cm
Leyenda de Jerez
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