Gustave Roud, 1897-1976. Suisse
Gustave Roud par Henry-Louis Mermod, années 1940
La route noire, mate ou luisante, laquée par la pluie ou liquéfiant
le paysage sous le soleil comme un sombre fer brûlant, n’est plus celle dejadis où boitaient, buvant la poussière d’une lèvre sèche, les rôdeurs aux
sourcils, à la moustache feutrés de farine comme des meuniers. Les
fleurs d’août restent fraîches, l’herbe riveraine est pure. Mais le voyageur
poursuit sur cette nappe insensible une course malaisée. Quelque chose
l’isole du monde, qui ne fait plus corps avec lui. Le bleu d’acier, le violet
vulgaire, le noir sans richesse que sa semelle touche sont morts. Pour
toujours a disparu cette chose frémissante où posait son regard sans
pensée : la route ancienne sous le gel comme une dalle de marbre où le
matin versait brutalement un flots d’ombres éclatantes ; la route après
l’averse, grêlée comme une peau ; la route sous l’orage de mai où l’on
enjambe des flaques de pétales, neige et rouille ; la route de novembre,
quand le talon crève avec un cri rauque la creuse glace des ornières ; la
route qui vivait.
[extrait de Campagne perdue, ECRITS III – p.179/180]
LE CORPS DES PAYSANS
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