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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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dimanche 28 février 2010

Ricco (Erich Wassmer) 1915-1972



autoportrait, 1942.



Erich Wassmer dit "Ricco" est un peintre suisse peu connu. Il peignait de jeunes garçon d'après photos, photos qui lui valurent d'ailleurs quelques ennuis. Je n'ai trouvé aucune biographie, nulle part sur internet. Les seuls renseignements que j'ai pu trouver sont cet article d'Isabelle Falconnier, paru en octobre 2008 sur le site HEBDO que je retanscris en intégralité ici. Ce sont malheureusement les seuls renseignements que l'on trouve sur internet et cet article est repris en écho sur tous les sites qui parlent de ce peintre. Si des lecteurs ont d'autres renseignements sur Erich Wassmer à me fournir, je suis preneur.



Sulfureux, le peintre et prince bernois fait l’objet d’une exposition à l’Estrée de Ropraz et d’un catalogue raisonné du Kunstmuseum de Berne.
Dandy discret et aristocrate sulfureux, Erich Wassmer, dit Ricco, né en 1915 au château de Bremgarten près de Berne, arrive en 1963 à Ropraz, village de 300 âmes à l’orée des bois du Jorat. Il vient de passer huit mois en prison, en France, pour possession de photos de jeunes hommes nus. Dix ans plus tard, le 27 mars 1972, son cortège funéraire monte doucement la pente qui sépare le château de Ropraz du cimetière. Derrière le vieux corbillard tiré par des chevaux, suit une Rolls-Royce blanche, conduite par son majordome Mario, et la famille, à pied.

Sur la pierre tombale, à l’entrée du cimetière de Ropraz, est scellé un éphèbe de bronze signé Karl Geiser qu’il avait choisi comme gardien de son dernier sommeil. Nu, pensif et vigoureux, il se dresse toujours entre le lierre et les fougères. Il y a un an et demi, le Kunstmuseum de Berne vient photographier deux tableaux de Ricco à Ropraz: l’un trône dans le bureau du syndic, l’autre dans la famille d’Alain Gilliéron, patron de l’espace culturel l’Estrée –il représente Stéphane Gilliéron, frère d’Alain.

En pleine élaboration du catalogue raisonné des œuvres du peintre, sur mandat de Ruedi Wassmer, neveu et filleul de Ricco, le musée estime que plusieurs œuvres ont été vendues en Suisse romande, et espère retrouver leur trace. C’est l’occasion ou jamais: Alain Gilliéron décide d’accueillir Ricco à l’Estrée, à deux cents mètres de sa tombe. Jusqu’au 30 octobre, l’espace culturel expose une dizaine des dessins et autant des tableaux, et fait tourner le beau documentaire réalisé en 2002 par l’Américano-Tessinois Mike Wildbolz.

Des dix années de Ricco à Ropraz, le village se souvient. A commencer par Alain Gilliéron lui-même. Si sur certains tableaux c’est son frère qui figure, sur d’autres, c’est lui. Fils du buraliste postal, Alain et Stéphane sont réquisitionnés par leur père pour tondre la pelouse du châtelain, qui les fait ensuite poser pour des photographies dont ses tableaux s’inspirent.

«Pour nous gamins, c’était extraordinaire. C’était un extraterrestre, excentrique et soigné, d’une douceur extrême, venant parfois au café ou à l’épicerie. En pénétrant dans le château, qui nous était a priori défendu, nous entrions dans une caverne d’Ali Baba: des collections de timbres, de papillons, de bateaux, d’armes, de tableaux. Il nous faisait poser avec une maquette de bateau, une roue de vélo, un cheval de bois ou une épée. C’était amusant. Nous devenions des marins, des chevaliers. Quelqu’un s’intéressait à nous…»

En 1966, les parents Gilliéron reçoivent pour Noël un grand tableau sobrement intitulé Stephan de la part du maître, toujours dans la famille. «Je ne sais pas ce que pensaient mes parents de Ricco. Pour nous, la nudité était naturelle. Il ne nous a jamais touchés. D’ailleurs, tous ses modèles ont le même type sur ses tableaux. Il nous faisait correspondre à son idéal. Sur certains tableaux, je ne sais pas si c’est mon frère ou moi qui ai posé. Il cherchait quelque chose à travers nous qui n’était pas nous.»

Fiancées pour beurre. C’est toute l’histoire de Ricco, né Erich Wassmer d’un père grand industriel et mécène, dont les amis de la famille étaient Herman Hesse ou le compositeur Othmar Schoeck. Après une enfance de rêve à Bremgarten, il étudie la peinture à Munich, à Paris, puis chez Cuno Amiet. Silencieux, aimable, beau, il a des amitiés amoureuses, emmène une fiancée à Venise, mais ne l’épouse jamais. Toute sa vie, il correspondra avec plusieurs femmes, mais finit toujours par rompre.

Au soir de sa vie, à Ropraz, malade, il demandera encore en mariage l’une d’elles. Pour rire, ou pas. Fasciné par la mer, il se fait tatouer une ancre. Dans les années 40, il achète un yacht, amarré à Morges, le revend, puis s’embarque pour Tahiti. Après quelques mois, il s’engage comme matelot sur les mers du Sud, Bombay, Hawaï, le Japon. De retour en Europe, dans les années 50, il s’installe au château de Bompré, près de Vichy. Homosexuel discret, il est arrêté et mis en prison pour conduite contraire aux bonnes mœurs.

Tinguely chez lui. Sa famille achète alors le château de Ropraz pour l’y loger. La rumeur veut que son père Max ait éloigné du fief de Berne ce fils vaguement indigne. Ropraz l’adopte. Il ne ferme pas son château à clé, aime les voitures. En 1964, lorsque Jean Tinguely construit sa machine pour l’Exposition nationale à Lausanne, il loge chez Ricco. Qui le peint.

L’écrivain Jacques Chessex, habitant de longue date de Ropraz, se souvient de ses «habits de toiles flottants, de sa démarche lente et chaloupante. On sentait quelqu’un qui avait largué les amarres. Je voyais les enfants Gilliéron qui allaient se faire photographier par le peintre. Je trouvais cela extraordinaire, que le peintre aristo prenne ses modèles parmi les enfants du pays, comme au XVIIIe siècle. C’était sa liberté.» Il a un majordome, Mario, ancien chauffeur de JeanXXIII, toujours en uniforme blanc. «C’était exotique, par ici.» Le village jase peu sur les mœurs de Ricco. «Ce n’était pas l’époque de l’obsession pédophile…»

Chessex devient familier du château après la mort de Ricco, lorsque son frère Hans, le colonel Wassmer, y installe sa résidence. Beaucoup des objets personnels de Ricco sont restés, objets polynésiens ou photos de jeunes marins. «Les Wassmer avaient le génie de l’hospitalité élégante. Il y avait des paons sur les pelouses et, l’hiver, nous buvions du champagne en regardant tomber la neige sur les tulipiers où les paons s’installaient.» Sa peinture? «Je la mets à côté de Balthus et Max Ernst. Je connais peu de peintures contemporaines qui soient en même temps aussi denses, nourries du point de vue de la peinture, et aussi douces au regard, comme moirées par l’œil tellement l’art en est consommé. Ce qui me fascine, c’est l’alliance, rare dans la peinture d’aujourd’hui, de la matière et du rêve. Et peu ont peint le désir des jeunes corps masculins, de l’ordre d’un désir très matériel et très sublimé à la fois.»

Collectionneurs avertis. Ricco laisse quelques cinq cent œuvres, tableaux, dessins et photos. La plupart sont dans des collections privées de la famille ou d’amis. La ville de Berne, le Kunstmuseum de Berne ainsi que le Musée des beaux-arts d’Aarau en possèdent. En 1988, une première exposition à Aarau, justement, sort Ricco du relatif oubli dans lequel il est tombé. En 2002, le Kunstmuseum de Berne organise une rétrospective. Et s’est fixé pour objectif, d’ici à 2010, de terminer le catalogue raisonné de ses œuvres. «Il y a beaucoup à découvrir encore, explique Marc-Joachim Wassmer, responsable du catalogue Wassmer au Kunstmuseum de Berne. Nous découvrons régulièrement de nouveaux documents, œuvres ou carnets de notes. C’est un travail de longue haleine et de confiance avec la famille.»

Individualiste, Ricco a choisi un chemin peu balisé. Après-guerre, l’art se tourne vers l’abstraction, Jasper Jones ou Pollock en tête. «Ricco a toujours été décalé. Il ne faisait pas partie de l’avant-garde, mais intégrait ses éléments. Son style est très personnel, et a évolué d’une peinture naïve vers un réalisme magique très intéressant, une sorte de vérisme à l’ancienne mâtiné de surréalisme, de symbolisme, et d’humour. On y voit l’influence de Dali ou d’Ernst, dans une combinaison de natures mortes et d’êtres humains fascinante.»

Dans sa mythologie personnelle, en plus des éphèbes –bruns et secs, le regard absent–, on retrouve dans ses tableaux des bateaux, des horloges, un écorché, des squelettes, une main, une poupée cassée, des cigarettes. «Ce sont ses leitmotiv, sa mythologie personnelle. Il s’inscrit avec force dans la culture européenne existentialiste. L’Estrée mérite une médaille pour son exposition!» Le prix de ses œuvres est étrangement monté lors des rares récentes ventes aux enchères. Estimées à 16000 francs, certaines sont parties à plus de 45000 francs. «C’est un marché bizarre, qui ne correspond pas à la valeur réelle de ses tableaux. Les collectionneurs de Ricco sont prêts à tout pour en avoir…

La récurrence des jeunes garçons dans son œuvre a pu et peut toujours poser problème. Balthus peignait des jeunes femmes, c’est plus acceptable aux yeux de la société.»

Le Grand Meaulnes. Il disait de lui-même qu’il était un « bâtard, quelque part entre un écrivain et un peintre.» Il adorait les voitures, possédait une Thunderbird. Il ne couchait pas avec ses modèles, ses muses. Avec les autres, les marins, les gens des fermes, oui. Il appartenait aux privilégiés, mais n’a pas eu la vie facile. Il allait de château en château, prisonnier volontaire d’un monde enchanté. «Le héros de sa peinture est un homme dont l’enfance a été trop belle», explique Beat Wissmer, directeur du musée d’Aarau. Le Grand Meaulnes était son livre de chevet. Les hanches fines des garçons de ses tableaux sont tournées vers un ailleurs inaccessible, des temps enfuis ou un futur désenchanté, rempli de mers, de chevaliers et de squelettes hilares.

A la mort de Ricco, sa sœur et sa mère se précipitent au château de Ropraz. La sœur met de l’ordre dans les papiers, «efface l’aspect homosexuel», comme elle l’explique platement à Mike Wildbolz. La mère s’y installe, veut ouvrir un musée. Elle meurt trois mois après, se fait enterrer à côté de son fils. Hans, le frère colonel, meurt en 1984. En 1988, la famille vend le château.Stéphane Gilliéron: «J’étais très gai, gamin. Mais je ne souris sur aucun des tableaux de Ricco. C’est bizarre.» En héritage, il a reçu un pistolet, Alain un cheval de bois de manège. De jolis jouets.
Isabelle Falconnier.



Le Palais des Merveilles, 1954



vive la marine, 1952



le verre de vin rouge, 1952



Pour faire voir, 1956



Les mains, 1962



le cheval de bois,1962



le cerf volant, 1957



Le beau cheval, 1966



jean du phare, 1956



Der Gieu u d'Iffle, 1966












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