Le pape Jules II décida de rénover la décoration de la voûte de la chapelle Sixtine, auparavant peinte en bleu avec des étoiles d'or. Il en confiera l'exécution à Michel Ange en 1508. Celui-ci, travaillant au tombeau de Jules II, refusera dans un premier temps car il s'estimait sculpteur et non peintre. Contraint d'accepter, il obtiendra une totale liberté de composition et de conception. Celui-ci réalisera une oeuvre sur le thème de la création du monde comprenant plus de deux cents personnages de l'univers biblique. Travaillant couché sur le dos, sur un échafaudage monté au-dessus de la chapelle, Michel-Ange ne fera appel qu'à une seul assistant qui lui préparera et broiera les couleurs. L'artiste travaillera à cette oeuvre de 1508 à 1512. Il délimitera la voûte par la peinture d'éléments architecturaux qui forment des encadrements.
Les vingt grands nus masculins, les « Ignudi » représentent des adolescents qui encadrent, deux à deux, les 5 panneaux plus petits du centre de la voûte. Les nus de Michel Ange (Domenico Ghirlandaio, le maître de Michel Ange, avaient créé des personnages très proches) dérivent des anges du Quattrocento ayant perdu leurs ailes et portant des emblèmes décoratifs. Parfois leur front est ceint du bandeau de la victoire à la manière antique ; parfois ils exhibent une nudité athlétique, expression dune pensée plastique significative.
Ils ont dès le XVIè siècle, été sujet à de nombreuses interprétations. On y a vu le symbole d'un âge d'or antiquisant, qui se serait ouvert avec le pontificat de Jules II Della Rovere…
Selon les tenants d'une interprétation néo-platonicienne, les Grands Nus entrent dans la vision de l'homme telle que la conçoit la philosophie platonicienne : selon cette théorie, le microcosme humain est constitué de trois composantes fondamentales : le corps, l'âme rationnelle et l'intellect. Les « putti » qui soutiennent les entablements représenteraient le corps ; les « assistants » des sibylles et des prophètes symboliseraient l’âme rationnelle ; les Ignudi de la voûte figureraient l'intellect et cacheraient des intentions symboliques qui, comme tant d'autres visées, se dérobent à la compréhension du simple mortel. Ces nus offrent en tout cas une surprenante variété d'anatomies et d'états psychologiques mélancoliques, coléreux, dionysiaques...
La fresque de Michel-Ange provoquera un retentissant scandale. L’abondance païenne de ces nudités choque l’Église qui se trouve alors à un tournant de son histoire (les premières assemblées du concile de Trente se tiendront à partir de 1545) et cherche une restauration dogmatique pour surmonter la crise de la Réforme.
Si Michel-Ange exprime d’une façon grandiose l’incertitude qui sera désormais celle des temps modernes, il l’exprime toutefois en un langage en lequel l’Église ne pouvait pas se reconnaître. On soupçonnera une intention hérétique, Michel-Ange rencontrant alors Vittoria Colonna, marquise de Pescara, à l’église San Silvestro du Quirinal, qui était alors un peu la chapelle des intellectuels.
Ce cercle spirituel se réclamait d’un espagnol, Juan de Valdès, proche d’Érasme, et cherchait une solution de conciliation avec les Réformés. Ce mouvement fut durement réprimé dès que fut accompli le tournant doctrinal de la Contre Réforme, et Michel-Ange compromis par cette fréquentation. Mais c’est surtout l’indécence des nus qui paraîtra, au sein de la chapelle pontificale, insupportablement outrageante.
L’année de la mort de Michel-Ange, un fervent admirateur du maître, Daniel de Volterra, et son atelier de braghettone, ou poseurs de culottes, recouvrira les nudités les plus offensantes, et corrigera certaines positions dont on avait dénoncé l’obscénité. A quatre-vingt-cinq ans, vers 1560, Michel-Ange lui-même voulait habiller les nudités du Jugement Dernier, et il l’aurait fait lui-même s’il en avait eu la force.
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