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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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mardi 9 août 2016




Les influences



Des historiens d'art fixent l'origine de l'art de Bosch dans le gothique international – style ayant marqué l'ensemble de l'art européen autour de 1400. Bosch est certainement l’un des artistes les plus énigmatiques de l’histoire de l’art. A cheval entre le gothique et la Renaissance, ses œuvres, présentant une lecture simple ou plus ésotérique, ont un style particulier, très personnel, reconnaissable entre tous. Il est pourtant l'héritier de ces maîtres prédécesseurs et également de toute l'imagerie médiévale. L'artiste ignore la perspective italienne mais invente des procédés de composition originaux et une géométrie toute personnelle.

Ces maîtres sont appelés les primitifs flamands. Cette expression est apparue au XIXe siècle pour désigner les peintres actifs dans les anciens Pays-Bas méridionaux aux XVe et XVIe siècles, dans les villes florissantes de Tournai, Bruxelles, Bruges, Gand et Anvers, bénéficiant de la prospérité du duché de Bourgogne. Ce groupe est à l'origine de la Renaissance nordique. L'art des primitifs flamands correspond à la fois à l'aboutissement de l'héritage artistique médiéval du nord de l'Europe et à une évolution vers une acceptation de l'idéal développé à la Renaissance.

Les plus renommés d'entre eux étaient Jan Van Eyck (1390-1441), qui fut très lié à Philippe le bon, Hans Memling (1430-1494) et Gérard David (1460-1523, Bruges), Rogier Van der Weyden (Roger de la Pasture. 1400-1464) et Hugo Van der Goes (1440-1482, Gand). 

Le plus célèbre d'entre-eux est probablement Van Eyck, qui a développé la technique de la peinture à l’huile permet d’obtenir une pureté et une luminosité bien plus grandes que la tempéra, le mélange à l'œuf, qui séchait trop rapidement, rendant les retouches très difficiles. C'est à cette époque que l'on voit également apparaître doucement la toile qui remplacera peu à peu les panneaux de bois. Il met surtout, et c'est une révolution, en pratique, avant beaucoup d'autres, la perspective.





Jan van Eyck (1390-1441). L'Homme au turban rouge, 1433 Autoportrait présumé






Jan Van Eyck. Le Chancelier Rolin en prière devant la Vierge, dit La Vierge du chancelier Rolin ou Vierge d'Autun, vers 1435. huile sur panneau, 66 × 62 cm. Paris, Musée du Louvre






Jan van Eyck, Les Époux Arnolfini 1434. Huile sur panneau de chêne, 82cm × 60 cm. National Gallery, Londres






Hans Memling (vers 1435/1440-1494) Scènes de la Passion du Christ entre 1470 et 1471. Huile sur panneau de chêne, 56,7 cm x 92,2 cm. Galleria Sabauda, Turin, Italie






Hans Memling. Le Jugement Dernier Triptyque vers 1466-1473, huile sur panneau. Musée national de Gdańsk






Hugo van der Goes (1440-1482). L'Adoration des Mages triptyque, seconde moitié du 15ème siècle. Huile sur toile, 96,3 cm x  109,2 cm. Musée de L'Hermitage, St Petersbourg






Rogier van der Weyden (1399/1400 -1464). Triptyque de la Crucifixion , 1443 - 1445. Kunsthistorisches Museum, Vienne, Autriche



On ne sait rien des influences directes de Bosch, ni de sa formation. On ne sait pas s'il a voyagé, mais on perd sa trace à quatre reprises dans les registres de Bois-le-Duc. Certains ont imaginé un potentiel voyage à Venise, puisqu'on retrouve la trace de trois de ces tableaux là-bas. Mais on n'en a aucune preuve. Peintre parmi tant d'autre dans l'atelier de son père, à ses débuts, les peintures de Bosch ne sont orthodoxes et guère originales, même si on peut, ça et là, distinguer des personnages caricaturaux. Il explore rapidement des thèmes plus inhabituels comme les messes noires (La tentation de St Antoine).

Bosch s'est fidèlement inspiré du Nouveau et de l'Ancien Testament. Il décrit les textes de façon littérale. Ses représentations, volontiers moralisatrices ou didactiques, sont dans l'orthodoxie religieuse. Derrière un penchant affirmé pour le symbolisme ou l'ésotérisme, on peut parfois déceler des allusions à l'alchimie et à l'astrologie. Mais son imagination est sans limite. Il peint des personnages grotesques ou fantastiques, mi-homme, mi-animal. Il imagine des paysages d'un autre monde emplis d'une végétation irréelle, peuplés d'animaux hybrides merveilleux, hallucinants et terrifiants. Il semble qu'il ait puisé son inspiration dans la littérature médiévale, les Livres des Heures, les enluminures, les bestiaires.





Licorne bleue sur un bestiaire du XIIème siècle.







Lions dans le Bestiaire d'Ashmole vers 1210.






Éléphant dans le bestiaire d'Aberdeen. IIe siècle






Le Physiologos de Berne c. 825-850



Ses personnages monstrueux sont inspirés par les grylles de l'Antiquité, des créatures grotesques ou burlesques, repris dans de nombreux manuscrits médiévaux, en particulier dans les marges, sous le terme de drôleries. Ils sont l'image de l'âme prisonnière de la bête, monstre qui dénonce l'avilissement de l'esprit et la folie du péché.





Les grylles. Bréviaire de Renaud de Bar - volume d'Été (1302-1303), Bibliothèque Municipale de Verdun (France), ms. 107 Enluminure folio 111. Chevalier-poisson combattant un grylle.







Les grylles. Illustrations de la Chronique de Nuremberg, par Hartmann Schedel (1440-1514)






Les grylles de Jérôme Bosch. Le jugement dernier







Les grylles de Jérôme Bosch. Le jugement dernier







Les grylles de Jérôme Bosch







Les grylles, gravure de Hieronymus Cock, Flamand, c. 1510 - 1570, d'après Bosch







Les grylles (détail du Jugement dernier de Munich, dû à un suiveur de Jérôme Bosch).








Les grylles. Initiale "Q"  - Archange Michel terrassant le dragon. Psautier, Würzburg ca. 1240-1250LA, The J. Paul Getty Museum, Mme Ludwig VIII 2, fol. 61v








Les grylles. The Rutland Psautier, Angleterre, vers 1260



Il connait L’Ars Moriendi (l’art du décès, l’art de bien mourir) deux textes en latins datant respectivement de 1415 et 1540. Ils se proposent d'aider à bien mourir, selon les conceptions chrétiennes de la fin du Moyen Âge. Ils montrent un homme à l’agonie dont l'âme est l’enjeu d’une bataille entre les anges et les démons.





Ars Moriendi 






Ars Moriendi Renouard N°120




Il a lu des traités d'alchimie, d'astrologie, La Nef des fous de Brant, La Légende dorée où sont décrites les tentations de Saint Antoine, et Les Visions de Tungdal. En 1484, cet ouvrage , d'un auteur anonyme irlandais circule en Hollande. C'est un long poème qui raconte l'histoire de Tungdal un chevalier Irlandais du XIIIéme siècle qui après une existence d'oisiveté et de débauche, voit en songe l'enfer durant trois jours et trois nuits. A son réveil il se repent en se retrouvant dans son corps humain. Il y a vu un monde peuplé de monstres, d'insectes et de serpents, dans les ténèbres de l'enfer que l'on rejoint en traversant le paradis rempli de plaisirs, d'or, et de pierres précieuses. Sa vision de l'Enfer est influencé par les images des Livres des Heures où sont figurés les damnés dévorés par des bouches géantes.





La gueule des Enfers, enluminure du Maître de la Cité des Dames,début XVème siècle







Psautier d'Henri de Blois; cathédrale de Winchester dont Henri était évêque, 1120-1160.






L'Enfer. Speculum humanae salvationis, vers 1470-1480. Marseille - BM - ms. 0089 







La Cité de Dieu, de St Augustin, livre 19 trad. de Raoul  de Presles, 1480







Augustinus. La Cité de Dieu. L'Enfer. XVème







Compost et calendrier des bergers. En Enfer, supplice des avares,1493







Compost et calendrier des bergers. En Enfer, supplice des gloutons, 1493






Compost et calendrier des bergers. En Enfer, supplice des luxurieux, 1493






Compost et calendrier des bergers. En Enfer, supplice des orgueilleux, 1493



Le thème de la folie est vieux comme le monde mais, aux environs de 1500, il est pour ainsi dire omniprésent; à tel point qu’on a cru pouvoir qualifier le phénomène de « psychose collective ». Trois ouvrages ont alors eu un retentissement considérable : « La Nef des fous », (1494) de Sebastian Brant, l'"Ensorcellement des fous" (1512) du français alsacien Thomas Murner et le chef-d’œuvre d’Erasme « Eloge de la folie » (1511). La littérature et le théâtre populaires, les fabliaux, les traités pieux et moralisateurs, les sermons, la xylographie (illustrations des livres et feuilles volantes), la peinture et la statuaire, les cortèges et les fêtes, l’astrologie et l’alchimie : partout, on rencontre la folie ou sa personnification, le bouffon.

Et il est bien sûr fortement influencé par la vision millénariste, n'oublions pas que nous sommes en 1500, et que chaque passage de siècle ou de demi-siècle, à cette époque, était synonyme de fin du monde. Et puisque la corruption et le péché étaient monnaie courante en cette fin de siècle, beaucoup attendaient l'Apocalypse.

L'inquisition est partout et l'homme est péché et tout est Diable.




Livre d'heures de Catherine de Clèves, vers 1440.




Les sermons de Jacques de Voragine (1228-1298), chroniqueur italien du Moyen Âge,archevêque de Gênes ont été publiés en moyen-néerlandais à Zwolle, en 1489.

"Sachez que les démons qui dominent le monde sont quatre : Lucifer, Asmodée, Mammon et Belzébuth. Lucifer est le prince de l'orgueil. Ceux qui se vantent de leur rang social, de leur beauté physique, de leur pouvoir, de leur connaissance et de leur richesse hériteront de Lucifer les supplices éternels en enfer. Asmodée règne sur la luxure ; il déteste la pureté, adore l'adultère et la fornication. Ses enfants, ceux et celles qui vivent dans l'adultère et le péché charnel sont très nombreux ; aussi seront-ils damnés. Mammon règne sur la cupidité. Par ce vice, l'homme préfère à Dieu les biens terrestres ; il ne se soucie guère de la façon de s'enrichir : prêt à usure, vol, ruse ou violence pour enlever aux pauvres le peu qu'ils possèdent. Belzébuth est maître de la colère et de la haine ; il gère la mauvaise volonté et les mauvais désirs. Tous les pécheurs qui ont succombé aux tentations de ces quatre princes de mal seront damnés".





Le Jugement dernier,1306. Fresque de Giotto di Bondone à la Chapelle Scrovegni, Padoue 






Le Jugement dernier,1306. Fresque de Giotto di Bondone à la Chapelle Scrovegni, Padoue 




Le jardin des délices



Le jardin des délices est un triptyque, peint à l'huile sur des panneaux de chêne. Il fait 2,20 m de haut et 3,89 m de large une fois ouvert. Au moment où Bosch peint ce tableau, en Italie, Léonard de Vinci peint la Joconde (1503-1504). On ne connait pas le commanditaire de l'œuvre. On peut supposer qu'il s'agit qu'il s'agit d'Henri III, Duc de Nassau (1483-1538), un seigneur réputé comme bon vivant, puisque la première mention du tableau est celle du chanoine Antonio de Beatis dans un récit de voyage qui le situe en 1517 dans le palais de Nassau à Bruxelles.






Portrait de Henri III de Nassau attribué à Bernard van Orley.




Il aurait ensuite été hérité en 1538 par Guillaume Ier, prince d'Orange (1533-1584), à Bruxelles. Il aurait été confisqué en 1568 par Ferdinand Alvare de Tolède (1527-1591), IIIe duc d'Albe (1507-1582) et emmené en Espagne. Il aurait été acquis à une date inconnue par Fernando de Tolède, prieur de l'ordre de Saint-Jean de Malte en Castille et fils naturel du grand-duc d'Albe, puis acheté à sa mort par Philippe II d'Espagne (1527-1598). Il entre dans les collections de l'EscoriaI le 8 juillet 1593 sous le numéro 73 sous le nom 'Del Madroño' (L'Arbousier). Ce dont on est sûr est qu'il a été transféré au Musée du Prado en 1939, où il réside depuis.






Portrait de Philipe II d'Espagne par Sofonisba Anguissola, 1565. Huile sur toile, 88 × 72 cm. Museo Nacional del Prado, Madrid, Espagne



On ignore le titre originel de l'oeuvre que nous nommons maintenant comme Le Jardin des délices ou Le Jardin des délices terrestres. A son entrée à l'Escorial en 1593, il est interprété comme une représentation de "la bariedad del mundo". Il a été nommé par des écrivains espagnols "l'arbousier" ou 'la luxure". Aujourd’hui, certains chercheurs pensent que le titre d’origine était Sicut erat in diebus Noe (Comme aux jours de Noé), se fondant sur l'existence d'un tableau de Bosch intitulé Sicut erat in diebus Noe et conservé en 1595 dans la collection du grand-duc Ernest d'Autriche à Bruxelles.

La citation est empruntée à Mathieu 24 :37-39 :

« Comme aux jours de Noé, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. En ces jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on prenait femme et mari... et les gens ne se doutèrent de rien jusqu’à l’arrivée du déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme ».

Je n'ai pas trouvé qui et quand dénomma le triptyque de son nom actuel.

Ce tableau si mystérieux fait couler depuis des décennies des flots d'encre. Les commentateurs se perdent en conjecture quand à sa signification. Là ou certains voient la condamnation moralisatrice des péchés de l'homme, d'autres évoquent la philosophie ésotérique et émancipatrice de sectes religieuses.

Ernst H. Gombrich interprète le triptyque comme la représentation de l'humanité avant le déluge. Mais, nous le verrons plus loin, pourquoi condamner une humanité qui n'a pas péché?

Jean Wirth, historien, estimait que Le Jardin des délices montrait une utopie : "Comment serait l'humanité si l'homme n'avait pas commis le péché originel". L'humanité sans le péché.

La théorie que l'historien d'art allemand Wilhelm Fraenger (1890-1964) défend dans son livre paru en 1947, Hieronymus Bosch. Das tausendjährige Reich (Hieronymus Bosch. Le Royaume millénaire), est que le sens de l'œuvre de Bosch se découvre si on la situe dans les courants spirituels de son temps. Pour Fraenger, l'innocence Adamite conduit l'humanité en train de renaître comme le Nouvel Adam dans un nouveau millénaire, alors que ceux qui la rejettent sont condamnés à l' Enfer.











La secte des Adamites


Tout commence avec John Wyclif, v. 1331-1384, un théologien anglais et précurseur de la Réforme anglaise, et plus généralement de la Réforme protestante. Il remet radicalement en cause la notion d'autorité, en particulier spirituelle, et conteste par conséquent la hiérarchie ecclésiastique et les pouvoirs qui y sont associés : pouvoir temporel d'abord, mais aussi la presque totalité du pouvoir spirituel. S'ensuivent le rejet de la Tradition comme source de la Révélation, le rejet de la définition des sacrements et la condamnation de nombreuses pratiques religieuses comme la vie monastique, les œuvres de piété individuelle ou la possession de biens temporels par le clergé. La théologie de Wyclif fait de l’Église un être purement spirituel, rejetant son caractère incarné : la puissance absolue de Dieu s'exerce directement sur la terre, sans la médiation d'une institution.








John Wyclif




En 1402, Jan Hus devient prédicateur à Prague. Influencé par Wyclif, il s'interroge sur les conséquences pratiques de l'obéissance au Christ. À la chapelle de Bethléem, il prononce des sermons contre « les erreurs du catholicisme », où il préconise une réforme de l'Église. Son excommunication en 1411, sa condamnation par l'Église pour hérésie, puis sa mort sur le bûcher le 6 juillet 1415, lors du concile de Constance, déclenchent la création de l'Église hussite et les croisades contre les hussites. Le protestantisme voit en lui un précurseur.





Jan Hus au bûcher. Chronique illustrée de Diebold Schilling le Vieux, 1485.



Au lieu d'éteindre le mouvement hussite, le Concile de Constance l'avait rallumé. De plus en plus souvent il y eut des révoltes un peu partout en Bohème. Le mouvement qui était en train de prendre forme fut appelé d'après son symbole, le calice, les Calixtins. On distingue deux parties dans ce mouvement révolutionnaire : d'un côté les modérés, les Utraquistes (utra, lat. = égal, car il voulaient l'équivalence des deux formes de communion, le pain et le vin), de l'autre, l'aile radicale, les Taborites (d'après la ville de Tabor qu'ils venaient de fonder).

Les Taborites se réclament des idées de Jan Hus et demandent la communion sous les deux espèces pour les laïcs (pain et vin) avec présence réelle du Christ, la pauvreté obligatoire du clergé et retour de la plus grande partie des terres de l'Église aux propriétaires laïcs, l'interdiction de la prostitution et le châtiment des péchés mortels (ce dernier point s'opposant à la vente des indulgences), et prêcher selon la Bible uniquement.

« En ces temps il y aura sur terre ni roi ni seigneur ; ni sujet, et tous les redevances et impôts seront abolis, aucun n'obligera un autre à faire quelque chose car tous seront égaux; frères et soeurs. »

« Comme il n y pas de 'à moi' ni 'à toi', puisque tout est à tous en commun, ainsi il en sera partout et celui qui aura une propriété particulière commettra un péché mortel. »

Plus radicaux encore que les Taborites, une communauté, les Picards ou Adamites, tente de rejoindre le mouvement. Fondant sur les troubles de Bohême l'espoir de vivre selon leurs principes de liberté, des groupes de Picards qui fuient la persécution engagée contre les Hommes de l'Intelligence s'installent vers 1418 dans les régions de Žatec, Plzeň et Prague. Leurs idées influencent, en particulier Martin Húska, dit Loquis, qui prêche, dans la tradition millénariste, l'avènement d'un « nouveau royaume des saints sur la terre [où] les bons ne souffriront pas davantage ». Cependant, Húska se tient à l'écart de la tendance picarde, surtout quand les pratiques de Libre-Esprit suscitent l'hostilité des taborites orthodoxes.

« À cause de cette hérésie, rapporte Laurent de Břczcová, les frères vivant à Tabor se scindèrent en deux fractions, l'une picarde, l'autre taborite. Le parti le plus fidèle, les taborites, expulsa plus de deux cents hommes et femmes infestés par l'hérésie picarde. »

De décembre 1420 à janvier 1421, la communauté picarde connaît une période d'autonomie et de liberté. Ils s'installèrent sur une île du fleuve Moldau, non loin de Prague. Ils y vécurent nus, en communauté, mettant tous leurs biens en commun et faisant de leur mieux pour recréer les conditions de vie du Paradis terrestre avant la "Faute". La notion de culpabilité était abolie. Ils remettaient en cause non seulement l'Eglise mais la société toute entière. Ils estimaient que la meilleure manière de se rapprocher de Dieu serait de vivre dans les mêmes conditions qu'Adam, le premier homme avant le péché originel. Toutes les structures sociales étaient bannies. Ils avaient supprimé le mariage, l'argent, le travail, la noblesse, la bourgeoisie, l'administration, l'armée. Ils s'interdisaient de cultiver la terre et se nourrissaient de fruits et de légumes sauvages. Ils étaient végétariens et pratiquaient le culte direct de Dieu, sans Eglise et sans clergé intermédiaire.






Les Adamites






Adamites, 641



Le fond de leur proposition était que « l'homme doit être aussi heureux ici-bas qu'il sera un jour dans le ciel » (Tommaso Campanella, La Cité du Soleil, 1568). Ils furent exterminés en 1421 par Jan Žižka.

Certains pensent que la peinture de Jérome Bosch, Le Jardin des délices, pourrait être une représentation de la mythologie adamite, car la secte des Frères du Libre-Esprit suivant ses principes se développait à Bois-le-Duc, la ville où il résidait.

Les frères du Libre Esprit ou, pour être plus précis, les frères et les soeurs du Libre Esprit constituèrent un grand mouvement hérétique qui se propagea le long de la vallée du Rhin jusqu'aux Pays-Bas. Parmi les villes phares de ce mouvement citons Strasbourg, Mayence, Cologne et Amsterdam. Ces frères, dont les croyances sont à rapprocher de celles de sectes alexandrines telles que les adamites, avaient choisi ce nom parce qu'ils étaient convaincus d'incarner l'Esprit saint, sa puissance et son infaillibilité et partant, d'être lavés de tout péché en dépit de leur obligation de vivre dans la matière et donc dans le péché.

Ils formaient des groupes ou loges secrètes où accédaient et se côtoyaient hommes et femmes. Les disciples étaient recrutés tout d'abord parmi les dévots (béguines, tertiaires, beghards) qui furent nombreux à venir grossir les rangs de la secte. Cette secte avait repris certaines doctrines cathares, condamnation de la matière, refus du mariage et de la procréation, régime végétarien, mais à en croire les dires, elle sacrifiait cependant à des rites orgiaques.

A ce propos, Giovanni Vittoriense, ecrivit en 1326 dans son Cronicon :

« A cette époque apparut à Cologne une secte hérétique : femmes et hommes de diverses conditions se rencontraient au beau milieu de la nuit dans des lieux souterrains qu'ils disaient être leur temple où un certain prêtre du nom de Walther célébrait la messe. Après l'élévation et le sermon, les lumières s'éteignaient et les hommes mine de reconnaître la femme qu'ils avaient à leurs côtés. Après un repas copieux, ils se mettaient à danser et à s'abandonner à toutes sortes de plaisirs qu'ils baptisaient état du paradis, du nom du jardin donné à leurs ancêtres originaires de cette folie. Leur chef se faisait appeler Christ et la noble et belle jeune fille qui prenait place à ses côtés Marie. En agissant de la sorte, ils dégradaient le caractère sacré de la Foi et les valeurs de bienséance et de vérité. »

Il est vrai que le panneau central pourrait sembler être une description de la philosophie Adamite. Les adeptes vivent nus s'adonnant à divers plaisirs dont celui de la chair, se nourrissant de fruits dans un monde merveilleux où la procréation est bannie (il n'y a pas d'enfant). Cette thèse a été très populaire dans les années 70 et 80, pour être par la suite de plus en plus délaissée par les chercheurs.






L'exploration du tableau



Les volets fermés







Les volets fermés montrent un globe transparent, bouillonnant de vie et de phénomènes aquatiques, minéraux et végétaux. La terre nouvellement créée semble contenue dans une sphère de verre. L'ensemble est sombre car nous sommes avant la création de la lumière.

Selon W. Fraenger, il s’agit du troisième jour de la Création, lorsqu’une « buée fertile » féconde le monde minéral et permet l’émergence des premiers végétaux, avant la conception des « luminaires » qui marquent « les époques, les jours et les années » : le Soleil, la Lune et les étoiles, créations du quatrième jour. La représentation de la Genèse est confirmée par les deux phrases inscrites en lettres gothiques dorées en haut de chaque panneau. Le volet gauche porte les inscriptions Ipse dixit et facta sunt, et le volet droit Ipse mandavit et creata sunt.





Volet gauche



Volet droit



Ces vers proviennent des psaumes d’Isaïe : « Lui parle, ceci est. Lui commande, ceci existe », ce qui renvoie à la Genèse : « Dieu dit : Que la lumière soit! Et la lumière fut » (Genèse 1-3).

Gen. I -« 1 In princípio creávit Deus cælum et terram. 2 Terra autem erat inánis et vácua, et ténebræ erant super fáciem abýssi : et spiritus Dei ferebátur super aquas. 3 Dixítque Deus : Fiat lux. Et facta est lux. 4 Et vidit Deus lucem quod esset bona : et divísit lucem a ténebris. 5 Appellavítque lucem Diem, et ténebras Noctem : factúmque est véspere et mane, dies unus. »

Gen. I - « 1. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. 2. Mais la terre était informe et nue, et des ténèbres étaient sur la face d’un abîme, et l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux. 3. Or Dieu dit : Que la lumière soit. Et la lumière fut. 4. Et Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière des ténèbres. 5. Et il appela la lumière, Jour, et les ténèbres, Nuit : et d’un soir et d’un matin se fit un jour unique. »


Pour Ernst Gombrich, la peinture figurant sur les volets fermés a pour sujet la Terre, de laquelle se retirent les eaux du déluge. Le rayon de lumière est l'arc-en-ciel symbolisant la nouvelle alliance entre Dieu et les hommes, et la promesse que le Déluge n'aura plus lieu. Il est en outre établi que le centre de la représentation a été rogné et qu'il n'est pas impossible qu'on y vît initialement l'arche de Noé.






Au sommet, à gauche, un personnage âgé, assis dans une trouée de nuage, tient un livre : Dieu lui-même. Regardez le bien, ce personnage minuscule, car vous ne le reverrez plus. C'est déjà, avant même l'ouverture du triptyque le premier mystère. Alors que dans tous les autres tableaux de Bosch, Dieu est omniprésent et gigantesque, écrasant de sa présence les toiles, il est ici représenté uniquement par ce petit personnage, qu'on pourrait, faute d'attention, ne pas remarquer. Que veut nous dire Bosch ici?

Que Dieu est absent de la suite de l'œuvre? Et qu'elle va traiter d'un thème païen? Cette représentation du Père est en tout cas extrêmement atypique, voire unique dans l'œuvre du flamand. Autre étrangeté, il porte la tiare papale, même si cette représentation se fait à l'époque de Bosch, elle est pour l'artiste inédite. Un Dieu, créateur du monde affublé d'un élément terrestre et humain, porté par son simple représentant sur terre. Quel crime de lèse-majesté! Ouvrons les panneaux, nous voici maintenant au matin du quatrième jour.








Les panneaux ouverts








La luminosité et la couleur éclatante des panneaux ouverts contrastent beaucoup avec les couleurs ternes des panneaux fermés. Bosch avait pour habitude d'utiliser des couleurs ternes pour peindre le volets fermés de ses triptyques.





Le chariot de foin, volet fermés, Musée du Prado, Madrid





Le Jugement dernier, volets fermés, Vienne, Académie des Beaux Arts




Les panneaux ouverts du triptyque répondent au même sens de lecture des triptyques du même sujet comme Le jugement dernier et Le chariot de foin. Entourant la scène centrale, le thème principal, les panneaux latéraux représentent, à gauche, le Paradis ou l'Eden et à droite l'Enfer. Ainsi la lecture se fait de gauche à droite.




Le panneau gauche








Gen. II « 19 Formátis ígitur Dóminus Deus de humo cunctis animántibus terræ, et univérsis volatílibus cæli, addúxit ea ad Adam, ut vidéret quid vocáret ea : omne enim quod vocávit Adam ánimæ vivéntis, ipsum est nomen ejus. 20 Appellavítque Adam nomínibus suis cuncta animántia, et univérsa volatília cæli, et omnes béstias terræ : Adæ vero non inveniebátur adjútor símilis ejus. »

Gen. II « 19. Tous les animaux de la terre et tous les volatiles du ciel, ayant donc été formés de la terre, le Seigneur Dieu les fit venir devant Adam, afin qu’il vît comment il les nommerait : or le nom qu’Adam donna à toute âme vivante, est son vrai nom. 20. Ainsi Adam, appela par leurs noms tous les animaux, tous les volatiles du ciel, et toutes les bêtes de la terre : mais pour Adam, il ne se trouvait point d’aide semblable à lui. »

Gen. II « « 18 Dixit quoque Dóminus Deus : Non est bonum esse hóminem solum : faciámus ei adjutórium símile sibi. (…) 21Immísit ergo Dóminus Deus sopórem in Adam : cumque obdormísset, tulit unam de costis ejus, et replévit carnem pro ea.22 Et ædificávit Dóminus Deus costam, quam túlerat de Adam, in mulíerem : et addúxit eam ad Adam. 23 Dixítque Adam : Hoc nunc os ex óssibus meis, et caro de carne mea : hæc vocábitur Virágo, quóniam de viro sumpta est. 24 Quam ob rem relínquet homo patrem suum, et matrem, et adhærébit uxóri suæ : et erunt duo in carne una. 25 Erat autem utérque nudus, Adam scílicet et uxor ejus : et non erubescébant. »

Gen. II « 18. Le Seigneur Dieu dit aussi : Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; faisons-lui une aide semblable à lui. (…) 21. Le Seigneur Dieu envoya donc à Adam un profond sommeil ; et lorsqu’il se fut endormi, il prit une de ses côtes, et il mit de la chair à sa place. 22. Puis le Seigneur Dieu forma de la côte qu’il avait tirée d’Adam, une femme, et il l’amena devant Adam. 23. Et Adam dit : Voilà maintenant un os de mes os, et de la chair de ma chair : celle-ci s’appellera Virago, parce qu’elle a été tirée d’un vir. 24. C’est pourquoi un homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme ; et ils seront deux dans une seule chair. 25. Or ils étaient nus l’un et l’autre, c’est-à-dire Adam et sa femme, et ils ne rougissaient pas. »


Pour étayer la discussion, nous allons comparer le jardin des délices à deux autres triptyques de Bosch, Le chariot de foin et Le jugement dernier.





Le Chariot de foin, vers 1510-1516. Huile sur panneau de bois,  133 × 100. Madrid,
Musée du Prado







Le Jugement dernier, vers 1500-1505. Huile sur panneaux de bois, 163 × 127 cm. Vienne,
Académie des beaux-arts (commande de Philippe le Beau)



Ce panneau représente la présentation d’Ève à Adam. Les couleurs sont lumineuses. L'atmosphère est calme et sereine. Le tableau montre Adam se réveiller d'un profond sommeil pour trouver Dieu tenant Ève par son poignet et donnant le signe de sa bénédiction pour leur union. Dieu n'a pas l'apparence du Dieu sur les panneaux externes. Il est représenté par un jeune homme au cheveux longs blonds avec une légère barbe qui nous regarde fixement, semblant nous prendre à témoin. Il ressemble à l'image que l'on se faisait à l'époque et encore maintenant, du Christ. D'ailleurs Dieu est absent de ce triptyque.




Le jardin des délices, présentation d’Ève



Quand on le compare au Jugement dernier et au Chariot de foin, il n'y a pas ce Dieu immense et tout puissant qui domine toute la scène. Ce n'est pas un Dieu souverain et divin, mais son incarnation humaine, le Christ. Il est vêtu d'une toge rose, de la même couleur de la fontaine. Adam a un regard étonné, comme sortant du sommeil, éberlué découvrant Ève. Il regarde Ève, contrairement à la présentation d’Ève du chariot de foin et du Jugement dernier, où Adam lui tourne le dos ne semblant pas se soucier de sa présence. Ève a le regard baissé, montrant une certaine timidité, on pourrait presque la voir rougir comme une ingénue à qui on présente son prétendant. La scène est charmante.





Le chariot de foin, présentation d’Ève







Le Jugement dernier, présentation d’Ève



Cet épisode de la Bible est ici traité de façon unique dans l'œuvre de Bosch. Si on regarde bien le Chariot de foin et le Jugement dernier, le panneau de gauche retrace plusieurs épisodes, la présentation, le péché originel et Adam et Ève chassés du Paradis. Ces deux triptyques sont violents. Dans le ciel, vole autour de Dieu une armée de démons menaçants. Dans chacun, un ange armé d'une épée, menace Adam et Ève pour les chasser. Et surtout, la scène du péché est marquée. On voit le Diable, incarné par une femme-serpent, tenter le couple.



Les monstres volants




Le Jugement dernier







Le chariot de foin




Le péché originel





Le chariot de foin







Le Jugement dernier




Adam et Ève chassés du Paradis





Le chariot de foin







Le Jugement dernier




Ici, et c'est la notion essentielle du triptyque, pas de tentation, et donc pas de péché. Une scène unique de la présentation. Pas de monstre volant, pas d'Ange armé, pas de Dieu en colère qui punit les premiers humains. Uniquement un couple bienheureux qui n'a pas commis de faute et un Christ bienveillant. La faute représentée par la pomme est absente. Il n'y a pas de pommier. Bosch a juste représenté, loin du couple, au milieu du tableau, à peine visible, un serpent enroulé autour d'un arbre. On peut penser que la présence de ce reptile, non essentielle à la scène pourrait être une concession pour passer la censure de l'inquisition.





Le serpent



Gen. II « 8. Or le Seigneur Dieu avait planté, dès le commencement, un paradis de volupté, dans lequel il mit l’homme qu’il avait formé. 9. Et le Seigneur Dieu fit sortir du sol toutes sortes de bois beaux à voir, et doux à manger : et aussi le bois de vie au milieu du paradis, et le bois de la science du bien et du mal. 10. De ce lieu de volupté sortait un fleuve pour arroser le paradis, et qui ensuite se divise en quatre canaux. 11. Le nom de l’un est Phison ; c’est celui qui coule autour de la terre de Hévilath, où vient l’or.12. Et l’or de cette terre est excellent ; c’est là aussi que se trouve le bdellium et la pierre d’onyx. 13. Le nom du second fleuve est Gehon ; c’est celui qui coule tout autour de la terre d’Éthiopie. 14. Le nom du troisième fleuve est le Tigre ; il se répand du côté de l’Assyrie. Le quatrième fleuve, c’est l’Euphrate. 15. Le Seigneur Dieu prit donc l’homme et le mit dans un paradis de volupté, pour le cultiver et le garder : »



La fontaine de Jouvence




La fontaine de Jouvence


Regardons plus en détail le panneau. Au centre, se trouve une fontaine rose, couleur chair. Ses volutes raffinées lui donnent presque un aspect vivant, organique. Sans trop se forcer, on pourrait y distinguer une représentation des organes génitaux féminins, avec en haut le clitoris et le vagin, et en bas l'utérus avec les trompes de Fallope et les ovaires de part et d'autre. C'est la Fontaine de jouvence source de toute vie. Au centre du Jardin d'Eden, se trouvait l'Arbre de la Connaissance. Une source jaillirai à son pied et alimenterai les quatre fleuves du paradis coulant vers les points cardinaux. La Fontaine de jouvence est un thème commun en peinture.
























Maître du château de la Manta. Fontaine de Jouvence (v. 1420) attribuée à Giacomo Jaquerio




La chouette












La chouette




Dans cette fontaine, situé à l'exact centre du panneau quand on trace les diagonale, se trouve un orifice par lequel on aperçoit une chouette. Pour les chrétiens, la chouette signifie traditionnellement le Diable, les puissances du mal, les mauvaises nouvelles, la destruction. De même, dans l'Ancien Testament, la chouette est une créature impure et une figure de désolation.

Dans la loi de Moïse, la chouette et le hibou sont des animaux impurs (Dt 14, 15 ; Lv 11, 16). Dans le livre d’Isaïe, le hibou peuple une terre désolée et maudite par le Seigneur (13, 22).

Au Moyen Âge, la chouette est associée à la tromperie et à la sorcellerie. En effet, on voit dans le rapace sa capacité à profiter de la nuit pour chasser, au moment où ses proies sont souvent "aveugles" et démunies, tandis qu'elle y voit clair. Dans certaines légendes populaires d'Allemagne et de Scandinavie, la chouette est considérée comme un esprit de la forêt ( Holzweibl ).

Son caractère nocturne lui confère également une connotation démoniaque. Elle est souvent représentée comme l'animal de compagnie des sorcières. Clouer aux portes des maisons des chouettes était donc une coutume destinée à se préserver du mauvais sort et des esprits malfaisants.

Mais ici, il ne s'agit pas de ce symbole malfaisant. Nous sommes dans un contexte de renaissance avec redécouverte de la culture grecque et latine. Dans la mythologie grecque, Athéna, fille de Zeus, est la déesse de la sagesse et de l’intelligence. En tant qu’attribut de la déesse, la chouette en prend la symbolique. Elle est d’ailleurs considérée comme un oiseau prophétique. Dans une image célèbre, le philosophe allemand Friedrich Hegel (1770-1831) fait de la chouette le symbole de la philosophie : « La chouette de Minerve prend son envol au crépuscule ».







Tétradrachme athénien représentant Athéna et, au revers, une chouette




La chouette est un oiseau fétiche de Bosch, il l'a beaucoup représentée. On voit d'ailleurs deux autres chouettes dans le panneau central de ce triptyque. Placée en ligne droite au dessus de la tête du Christ, le volatile célèbre l'union sous le signe de la sagesse.



Les chouettes de Bosch







Chouettes du panneau central



















Jérôme Bosch, le nid de chouette, vers 1505-1516. C'est l'un des trois dessins autographes de Bosch.




Les animaux















Dieu a créé les animaux qui peuplent la terre. On voit ici représentés des animaux familiers, des chevaux, des bœufs, des sangliers, des biches, un ours grimpant à un arbre, des lapins, symboles de fertilité, un chat avec une souris dans la gueule, un cygne qui est peut-être une allusion aux "banquets des cygnes" de sa confrérie Notre-Dame. Il faut noter l'abondance de la faune dans ce triptyque, alors que le chariot de foin et le Jugement dernier en sont quasiment dépourvus. L'artiste représente également des animaux exotiques. En 1492, Colomb découvre "les Indes occidentales". Les récits des navigateurs et des voyageurs rapportent l'existence d'animaux étranges.





Le lion







La girafe







L'éléphant



La girafe et l'éléphant ont pu être inspirés de ceux de l'italien Cyriaque d'Ancone (entre 1390 et 1392-vers 1455), aujourd'hui considéré comme le père fondateur de l'archéologie moderne qui lors d'un voyage en Egypte les dessina pour illustrer son récit. On y voit également un singe et un lion dévorant une biche, seule scène de violence dans la sérénité de cet Eden.



Cyriaque d'Ancone, voyage en Egypte















Bosch ne serait pas Bosch s'il n'y avait pas du fantastique. Parmi les animaux fantastiques, on voit un curieux chien à deux pattes, probablement inspiré des grylles que nous avons vus plus haut. A mi-tableau, sur la droite, de curieux animaux mi-batraciens, mi-lézards, mi-mammifères émergent de l'eau. Il semblent être les proto-animaux qui sont sortis de l'eau pour engendrer tous les animaux terrestres comme nous l'a appris la paléontologie. Mais bien entendu, Bosch n'avait pas ces connaissances à son époque.





Le chien







Les animaux sortant de l'eau



Autres animaux fantastiques, on remarque en bas du panneau, baignant dans une mare sombre et inquiétante, des animaux, mi-canards, mi-poissons, des bestioles monstrueuses semblant sortir de l'Enfer, empêchés en cela par un curieux oiseau à trois têtes, tel Cerbère le chien de l'Enfer, mais défendant le chemin inverse, interdisant à ses créatures démoniaques d'envahir la terre. Au milieu de la mare un curieux petit être à bec de canard, en habit de moine, flotte, lisant un livre (une bible, puisque tout est symbole?). Difficile de l'interpréter, mais on imagine un Jérôme Bosch facétieux qui se moque de quelques moines à l'intelligence de canard qui lisent et interprètent mal les textes.






La mare ou l'entrée de l'Enfer







Le prêtre canard




Les arbres


Gen II. 9. "Et le Seigneur Dieu fit sortir du sol toutes sortes de bois beaux à voir, et doux à manger : et aussi le bois de vie au milieu du paradis, et le bois de la science du bien et du mal."

Bosch n'a représenté que deux arbres distincts dans ce panneau, un palmier et un dragonnier. Le dragonnier est un arbre qui pousse aux Canaries, à Madère et au Cap-Vert. Il donne un jus rouge-sang qui a été utilisé comme remède médicinal et comme colorant.





Le dragonnier






Le palmier



Bosch n'en a probablement jamais vu, mais on le retrouve dans des gravures allemandes, notamment La Fuite en Égypte de Martin Schongauer, l’Adam et Ève gravé par Michael Wolgemut pour l’édition de 1493 de la Chronique de Nuremberg et une des xylographies de la Vie de la Vierge d’Albrecht Durer, La Fuite en Égypte (vers 1504). Wolgemut a représenté trois sortes d’arbres dans son Paradis : un palmier-dattier derrière Adam, un pommier entouré d’un serpent, traditionnellement identifié à l’arbre de la connaissance, et le dragonnier derrière Ève.





Michael Wolgemut, Adam et Ève, Chronique de Nuremberg, édition de 1493. fol. 7r, Paris, Bibliothèque de France. Xylographie.






Martin Schongauer, La Fuite en Égypte (c. 1470), Paris, musée du Louvre. Burin, 22,5 × 17 cm.




Pour Wolgemut et Schongauer, le dragonnier est l'arbre de vie associé à Ève tandis que le palmier est associé à Adam. Ici Bosch a inversé les symboles et attribué le dragonnier à Adam et le palmier est du côté d’Ève. Mais le symbole primordial est qu'il n'y a pas de pommier, qui est l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Pour Bosch, dans cette scène, pas de notion de bien et de mal et donc pas de notion de faute. Dans les triptyques du chariot de foin et du jugement dernier, il n'y a pas l'arbre de vie, seul est représenté l'arbre de la connaissance, seule la faute est présente.



Nous voila donc devant un panneau calme et serein, exempt de violence, où Dieu le père est absent, où le diable n’apparaît pas et où la faute originelle n'a pas été commise. Adam et Eve sont des êtres purs et emplies d'amour dans un monde florissant, ignorant le mal, placé sous le signe de la fertilité, de la connaissance et de la sagesse.