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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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mercredi 7 décembre 2016




Vincent van Gogh, 1853-1890. Pays-Bas





La nuit étoilée, Saint-Rémy-de-Provence, Juin 1889. Huile sur toile, 73,7 x 92,1 cm. MoMA, New York



"Ce matin j’ai vu la campagne de ma fenêtre longtemps avant le lever du soleil avec rien que l’étoile du matin laquelle paraissait très grande." Vincent à Théo, jeudi 6 juin 1889






































Lettre à Théo. Jeudi 6 juin 1889













Mon cher Théo,


il faut que je te prie encore de m’envoyer le plus tôt possible quelques brosses ordinaires dont voici à peu près les grosseurs. Une demi douzaine de chaque s.v.p.

J’espère que tu vas bien ainsi que ta femme et que tu jouiras un peu du beau temps qu’il fait. Du moins ici nous avons un soleil splendide.

Pour moi la sante va bien et pour la tête cela sera, espérons le, une affaire de temps & de patience.
Le directeur me disait un mot qu’il avait reçu de toi une lettre et qu’il t’avait écrit, à moi il ne me dit rien et je ne lui demande rien ce qui est le plus simple. C’est un petit homme goutteux – veuf depuis quelques années et qui a des lunettes très noires. L’etablissement etant un peu stagnant, l’homme ne parait s’amuser à ce metier qu’assez médiocrement et d’ailleurs il y a de quoi.

Il en est arrivé un nouveau qui est agité à tel point qu’il casse tout et crie jour et nuit, il déchire aussi les camisoles de force et jusqu’à présent quoiqu’il soit tout le jour dans un bain il ne se calme guère, il demolit son lit et tout le reste dans sa chambre, renverse son manger &c. C’est très triste à voir – mais ils ont beaucoup de patience ici et finiront d’en venir cependant à bout.

les choses nouvelles deviennent vieilles si vite – je crois que si dans l’état d’âme où je suis actuellement je viendrais à Paris, je ne ferais aucune difference entre un tableau dit noir ou un tableau clair impressioniste, entre un tableau verni et à l’huile et un tableau mat à l’essence.–

Je veux dire par là que reflexion se faisant à fur & mesure – je crois plus que jamais à l’eternelle jeunesse de l’école de Delacroix, Millet, Rousseau, Dupré, Daubigny, tout autant qu’à l’actuelle ou à des artistes à venir même. Je ne crois guère que l’impressionisme fasse jamais davantage que par ex. les romantiques.

De là à admirer des gens comme Leon Glaize ou Perrault certes il y a de la marge.

Ce matin j’ai vu la campagne de ma fenêtre longtemps avant le lever du soleil avec rien que l’etoile du matin laquelle paraissait tres grande.

Daubigny et Rousseau ont fait ça cependant avec l’expression de toute l’intimité et toute la grande paix et majesté que cela a, en y ajoutant un sentiment si navrant, si personnel. Ces émotions-là je ne les déteste pas.

J’ai toujours du remords et énormement quand je pense à mon travail si peu en harmonie avec ce que j’aurais désiré faire. J’espère qu’à la longue cela me fera faire des choses meilleures mais nous n’en sommes pas encore là.

Je crois que les toiles qui sont bien bien séches, tu feras bien de les laver avec de l’eau et un peu d’esprit de vin pour enlever l’huile et l’essence des pâtes.

Ainsi le café de nuit et la vigne verte et surtout le paysage qui était dans le cadre en noyer. La nuit aussi (mais là il y a des retouches recentes qui pourraient couler par l’esprit de vin).–
Voilà tout un mois presque que je suis ici, pas une seule fois le moindre désir d’être ailleurs m’est venu; la volonté pour retravailler seule s’affermit un tantinet.

Chez les autres je ne remarque pas non plus un bien net désir d’être ailleurs et cela peut très bien venir de ce qu’on se sente trop décidemment cassé pour la vie au dehors.

Ce que je ne comprends pas trop c’est leur oisiveté absolue. Mais c’est le grand défaut du midi et sa ruine. Mais quel beau pays et quel beau bleu et quel soleil. Et encore je n’ai vu que le jardin et ce que j’apercois à travers la fenêtre.

As tu lu le nouveau livre de Guy de Maupassant, Fort comme la mort, Mais enfin il y a déjà des chôses de Lamartine comme cela.

J’espère que tu détruiras un tas de choses trop mauvaises dans le tas que j’ai envoyé ou du moins n’en montreras que ce qu’il y a de plus passable.

Pour ce qui est de l’exposition des Independants cela m’est absolument égal, fais comme si je n’y étais point. Pour ne pas être indifférent et ne pas exposer quelque chose de trop fou, peut être la nuit étoilée et le paysage aux verdures jaunes qui était dans le cadre en noyer.

Puisque c’en sont deux de couleurs contraires et cela pourrait donner l’idée à d’autres de faire mieux que moi des effets de nuit.

Enfin il faut absolument te tranquiliser à mon sujet maintenant. lorsque j’aurai reçu la nouvelle toile & les couleurs je m’en vais un peu voir la campagne.

Puisque c’est juste la saison où il y a beaucoup de fleurs et par consequent des effets de couleur, il sera peutêtre sage de m’envoyer encore 5 mètres de toile en plus.

Car les fleurs seront passagers et seront remplacés par les blés jaunes. Ceux là surtout je voudrais les attrapper mieux qu’à Arles. Le mistral (puisqu’ici il y a quelques montagnes) me paraît bien moins gênant qu’à Arles où on l’a toujours de première main.

Lorsque tu recevras les toiles que j’ai faites dans le jardin, tu verras que je ne suis pas trop mélancolique ici.

A bientot, bonne poignée de main en pensée à toi et à Jo.

t. à t.
Vincent.



Les lettres de Vincent numérisées


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