.
.
.
.
"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
.
.

jeudi 6 octobre 2016




La Cage aux folles








La Cage aux folles est une pièce de théâtre comique écrite par Jean Poiret, mise en scène par Pierre Mondy et représentée pour la première fois au Théâtre du Palais-Royal le 1er février 1973. Elle fut jouée près de 1800 fois (et vue par un million de spectateurs) par Jean Poiret et Michel Serrault et adaptée au cinéma en 1978.






















































Ce que j'ai pu détester ce film, alors que dans les années 80, je commençais à me rendre compte que le corps des garçons m'émouvait plus qu'il n'aurait du, et que résonnait sur l'écran de télévision les cris hystériques et surjoué de Michel Serrault attifé comme une Diva.

Ce que j'ai pu détester ce film qui me renvoyait une image de ce que la société de l'époque imposait aux homosexuels comme étant ce qu'il devait être et qui n'était tellement pas moi.

Ce que j'ai pu détester ce film, alors que je n'avais aucun autre modèle auquel m'identifier, qui me troublait encore plus dans mon identité, sachant que je n'étais pas ces folles; alors qu'étais-je?

Ce que j'ai pu détester ce film, voyant ma mère, cette homophobe stupide et ignorante (ou pas) de ce que j'étais, m'humilier encore plus de son rire gras devant la scène de la biscotte.

Ce que j'ai pu détester ce film, voyant la gène de mon père qui se posait déjà des questions sur moi mais ne parlait pas.

Ce que j'ai pu détester ce film, entendant les remarques homophobes et les commentaires salaces de ceux qui l'avaient vu.

Ce film n'était pas un film sur l'homosexualité, mais un film d'hétérosexuels, mal intentionnés, conditionnés par une société qui voyait encore cet amour là comme une maladie, et qui entendait nous cantonner dans un rôle d'être, ni homme ni femme, une folasse libidineuse qui méritait  les quolibets et la violence dont nous étions la cible, puisque nous étions des sous-hommes. Certes Poiret et Serrault avaient du talent, mais ils n'ont jamais (je l'espère) su le mal qu'il nous ont fait. Ils confortaient les beaufs homophobes dans leur croyance que nous étions ces choses-là. Ils légitimaient les coups portés et les insultes. Comment ne pas entendre les rires des spectateurs comme un reproche, une condamnation de ce qu'ils croyaient être nous? Ils ne riaient pas avec nous, ils riaient de nous. Un rire réprobateur. Ils nous laissaient un espace d'existence, entre plumes et maquillage, qui nous donnait comme perspective de vie qu'un simulacre de femme ridicule. Ils nous déniaient le droit d'exister en dehors de l'efféminé qui tortille du cul et rit comme une folle. Non, je n'étais pas cela, surtout pas.

On a dit que ce film n'était pas si homophobe et qu'il avait le mérite de parler du sujet. Je réponds qu'ils auraient du se taire au lieu de renvoyer aux jeunes homos de l'époque sans repère une image aussi avilissante. C'était à pleurer. Comment dire à son entourage son désir des garçons après un tel spectacle. Je ne suis pas cette folle là. Mais personne ne l'aurait compris. Alors je me suis tu. Et j'ai continué, orphelin de modèles virils, à me questionner et me morfondre sur mon identité sexuelle.








Puis est venu Patrice Chéreau et l'Homme blessé. Après les paillettes et les travestis, l'odeur et le sordide des coups tirés à la va-vite dans les chiottes de la gare du Nord. La prostitution, la délinquance, le pathos et la mort. Ce film avait tout de même le mérite de se rapprocher un peu mieux de qui j'étais. J'ai commencé aussi la découverte du corps de l'autre dans des chiottes de gare, comme beaucoup d'entre-nous à cette époque; nous n'avions pas d'autre choix. Pas d'internet, pas de Grindr, dans les petites villes de province où l'on vivait caché, peu d'autres solutions que de fréquenter les seuls espaces de liberté qu'on nous laissait, les chiottes publiques. Odeur de pisse et de merde. Voila quel était alors notre destin, les boites à travelos ou les chiottes de gare.

Puis le temps des études est arrivé. Avec lui, la grande ville. Quelques bars commençaient timidement à ouvrir. Le David Bar, rue Kervégan, L'interdit, rue Ménou puis le Plein Sud, rue Prémion. Enfin nous commencions à vivre au grand jour. Même si, encore, l'essentiel se passait la nuit dans les parcs publiques et leur lot de danger en tous genres. Je me souviens surtout de Bacco, disparu aujourd'hui, haut lieu de drague où j'ai fait mes premiers pas. Ma première visite a été à l'origine de sentiments que je n'éprouverai jamais plus. Une peur immense doublée d'une excitation incroyable. Le sentiment d'urgence, le désir sexuel, l'instinct de survie et le plaisir d'enfreindre la loi; cette loi des hétéros qui nous refusait le droit d'aimer dans des lieux publiques mais qui ne nous proposait aucune autre solution. Cette clandestinité faisait de ces soirées des moments que je n'oublierai jamais. Nous étions hors société, et cet attrait de l'interdit sublimait les rencontres.

Ces lieux de drague étaient autant des lieux sociaux que des endroits où l'on baise. J'ai rencontré tellement de garçons avec qui il ne s'est rien passé autre que de se raconter. Nous nous racontions, nous pouvions enfin dire qui nous étions et ce que nous ne disions pas le jour. Et nous avions enfin le sentiment d'appartenir à une communauté, nous n'étions plus seuls, il y en avait d'autres comme nous. J'ai vécu ces années comme un schizophrène. Etudiant appliqué et sérieux la journée, je sentais à la tombée du soir grandir en moi un autre personnage, à qui on déniait encore le droit d'être au grand jour, et j'endossais alors un autre moi, me rendant dans ces lieux. Mon dieu, que j'ai aimé cela et je pose aujourd'hui un regard attendri et nostalgique sur ces belles années.

Je comprends un peu les vieux pédés qui ont connu cela, ainsi que les premiers combats, quand ils disent que la normalisation de l'homosexualité avec le mariage, cette institution bourgeoise, est si loin de nous. Si la vie à  cette époque était difficile à vivre, le tabou de l'interdit dans lequel nous évoluions était le piment de notre condition. Mais les temps changent, ces choses là sont révolues et je suis bien heureux de les avoir vécues. Toujours est-il, que les jeunes homos d'aujourd'hui, ont d'autres modèles et d'autre choix que de vivre leur sexualité écartelée entre les paillettes et les cris hystériques des folles de Jean Poiret et la crasse nauséabonde des chiottes de Chéreau. Soyons heureux pour eux.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire