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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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jeudi 15 septembre 2016




Alfred Kubin, 1877-1959. Autriche




« Je suis l’organisateur de l’incertain, du tremblant, de la pénombre, de l’onirique ».






 Alfred Kubin par Nicola Perscheid en 1904




" Le sommeil est comme une image, mais méfiez-vous de vouloir selon un système moral, philosophique ou psychologique d'en trouver une interprétation: il est préférable de permettre au spectateur de subsister dans sa pureté authentique symbolique parce que la vision visible et créative est plus forte et plus fructueuse qu'une analyse approfondie. "




Alfred Leopold Isidor Kubin, né à Litoměřice, en Bohème, le 10 avril 1877 et mort à Wernstein am Inn (district de Schärding) le 20 août 1959, est un écrivain, dessinateur, graveur et illustrateur de livres autrichien.

Son oeuvre est le reflet de sa vie, noire, sombre, désespérée, cauchemardesque. Celui qu'on a surnommé "le Goya autrichien" est peu connu en France. Sa vie n'est qu'une suite de malheurs. Ses origines sociales sont pourtant correctes avec un père géomètre à la cour impériale qui apporte à la famille de bonnes conditions économique, et sa mère est pianiste. Le petit Alfred est un enfant chétif et timide qui a des difficultés à se lier avec les enfants de son age, préférant rester seul à dessiner.

« Je suis né le 10 avril 1877 à Leitmeritz, une petite ville du nord de la Bohême. Ma mémoire reste absolument muette sur les deux premières années de mon enfance. J’ai dû être un enfant braillard, c’est du moins ce que mes parents m’ont souvent assuré par la suite. » Aus meinem Leben (Ma vie), A. Kubin.

En 1887, Alfred a 10 ans quand sa mère meurt brutalement de tuberculose. L'enfant gardera toute sa vie cette image horrible de son père, terrassé par le chagrin, arpentant dans tous les sens la maison avec le cadavre de sa femme dans les bras. Son père, pourtant, se remarie dans l'année avec la sœur de sa femme qui meurt à son tour, un an plus tard, en couche. L'enfant se retrouve le souffre douleur d'un père devenu violent qui le frappe à coups de bâton. Alfred se renferme encore plus d'autant que les études sont un échec. Ses dessins se font plus sombres, morbides. Il a des hallucinations qu'il retranscrit dans ses dessins. Il écrira plus tard dans ses mémoires : 

« Par le biais de cette autobiographie, et à vrai dire grâce à elle, je crois avoir répondu, dans la mesure du possible, à une question que l’on m’a souvent posée: « comment en étais je arrivé à faire de pareilles choses? » Je crois surtout avoir montré suffisamment clairement qu’au fond, c’était une seule et même force qui m’avait poussé, dans mon enfance, vers le rêve et plus tard, dans les frasques stupides puis dans la maladie et finalement dans l’art. »

Devant l'échec de sa scolarité, son père l'envoie, en 1896, à l'École des Arts Appliqués de Salzbourg. Les débuts sont prometteurs, mais vite le jeune homme décroche et est renvoyé l'année suivante. Son père décide de l'envoyer alors comme apprenti chez le frère de sa troisième femme qu'il a épousé l'année précédente, un photographe. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. Kubin se dispute avec tout le monde, néglige le travail et se met à boire. Renvoyé, désespéré, il part se suicider sur la tombe de sa mère, mais la tentative échoue. Il s'engage alors dans l'armée, mais fait très vite une crise psychotique et est interné trois mois dans un hôpital militaire.

En 1899, il part pour Munich et entre à l'Akademie der Bildenden Künste München (Les Beaux-Arts). Il n'est pas très assidu aux cours et finira par abandonner. Mais durant cette période, il est influencé dans ses lectures par le pessimisme de Schopenhauer et l'exaltation de Nietzsche. Il admire Odilon Redon, James Ensor, Félicien Rops, Goya et surtout Max Klinger, et son érotisme délicat, qui venait de réaliser Un Gant, une série de dix eaux-fortes qui vont profondément marquer Alfred Kubin. C'est durant cette période qu'il réalisera ses travaux les plus réussis. Ces dessins à la plume, encre et lavis, œuvres satiriques et visionnaires comme Vampire, le Gardien, l’Épouvante ou Adoration annoncent déjà le surréalisme.



Les influences



Félicien Rops, 1833-1898. Belgique





 La Dame au cochon - Pornokrates, 1879








La mort qui danse, vers 1865








Le Vice suprême (1884), illustration pour le roman homonyme de Joséphin Peladan








Messe noire








Parodie humaine (vers 1880)








Satan semant (1882)








le sacrifice, tiré des sataniques








Le Sphinx (1882)






La buveuse d’absinthe (1877) Craie noire, aquarelle et gouache. Bibliothèque Royale, Cabinet des estampes, Bruxelles





Odilon Redon, 1840-1916. France






Christ








La section, 1879








L’araignée souriante, 1891, fusain sur papier








L'esprit de la forêt, 1880








L'oeil ballon, 1898






Germination







Le cube







Dans mon rêve, je vis au Ciel un VISAGE DE MYSTÈRE







La Mort. C'est moi qui te rends sérieuse; enlaçons-nous






James Ensor, 1860-1949. Belgique





Autoportrait avec des masques, 1899. Huile sur toile,120 x 80 cm. Menard Art Museum (Japon)








La Mort et les masques, 1897








 Les Musiciens tragiques, 1891








Masques face à la mort, 1888. Huile sur toile, 81.3 x 100.3 cm. MOMA, New York








Squelettes se disputant un hareng saur








La mort chassant le flot des mortels, 1896








 L'Avarice, tiré de Les Péchés capitaux, 1904








 La Colère, tiré de Les Péchés capitaux, 1904








La Paresse, 1902 tiré de Les Péchés capitaux, 1904








La Luxure, 1888 tiré de Les Péchés capitaux, 1904






Max Klinger, 1857-1920. Allemagne





Selbstbildnis mit Brille, nach halbrechts (Auto-portrait avec des lunettes, légère courbure droite), 1909








“Intermezzi Portfolio” Opus IV, 1881, Planche XII, “Amor, God und Jenseits”








La séduction (1880-84).








Entführung des Prometheus (Enlèvement de Prométhée), aus Opus XII, Brahmsphantasie, Blatt 24, 1894; Städel Museum, Frankfurt am Main





Ein Handschuh Opus VI.(Un gant), 1881.  

Série de 10 eaux fortes.



Un gant (1881) est sa suite la plus connue. Elle porte à son paroxysme l'étrangeté selon Klinger. Dans une patinoire, une jeune femme perd un gant. Un homme le ramasse. Ce gant devient l'objet d'un fétichisme délirant. Max Klinger illustre en dix planches les rêveries et fantasmes de l'homme qui l'a ramassé. Il est porté en triomphe dans une huître géante tirée par des chevaux, une image faite pour la psychanalyse. Il échappe à un naufrage. Il est volé, une nuit, par le ptérodactyle. Un Cupidon à ailes de libellule finit par le retrouver. Klinger présente l'histoire en dix planches. A chacun de composer le récit qui unirait les épisodes; ou de découvrir quel en serait le sens souterrain, très probablement érotique. C'est l'une des suites gravées à l'eau-forte les plus célèbres de son auteur, qui a grandement contribué à sa popularité et à sa reconnaissance.

Klinger traduit dans ce cycle son intérêt pour le monde du rêve, qu'avaient nourri ses lectures scientifiques des spécialistes du rêve, Albert Scherner et Hermann Siebeck, aussi bien que celle de l'Hypnerotomachia Poliphili de Colonna, le célèbre texte de la Renaissance, remis au goût du jour dans les années 1870-80, notamment par une étude publiée dans la Gazette des Beaux-Arts.






Planche I








Planche II








Planche III








Planche IV








Planche V








Planche VI








Planche VII








Planche VIII








Planche IX








Planche X



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L'acmé de l'oeuvre de Kubin peut être situé entre 1900 et 1905. En 1902, Paul Cassirer organise à Berlin sa première exposition. C’est en 1903, grâce à un carton publié par Hans Weber de 15 dessins reproduits en phototypie, qu’il réussit sa percée artistique.

En 1903, il publie sa première illustration en couverture du livre de Thomas Mann: Tristan. Dès 1905, l'artiste donne de la couleur à ses dessins, pour des scènes moins cauchemardesques, plus faibles aussi. Après avoir rencontré Paul Klee en 1911, il se rapprochera du Blau Reiter et publiera régulièrement des dessins dans la revue Simplicissimus. Un peu plus tard, son dessin se hachure, devient crayonné discontinu, une technique qu'il utilisera à la même époque pour illustrer Hoffmann, Meyrink, Poe où Barbey d'Aurevilly.

Il s’inscrit au salon d’automne en 1913. Kubin présente cette particularité d’allier Symbolisme, Expressionnisme et Surréalisme. Il fascine Klee et De Chirico. Il projette sur le papier ses tourments et ses hallucinations.

Il travaille le dessin à la plume, au crayon, le lavis, l'aquarelle et même la peinture à l'huile. Il est aussi un excellent graveur. Il illustre Poe, Flaubert, Balzac, ou encore Dostoïevski. Il est également écrivain. Il écrit en 1908, son plus célèbre roman Die andere Seite. Ein phantastischer Roman (« L’autre côté »), un roman fantastique qu'il illustre lui-même. Hermann Hesse déclarera plus tard qu'il s'agit là d'un livre majeur.




 



Le roman raconte le voyage entrepris par le personnage principal, un dessinateur, vers l'"Empire du rêve", un pays créé de toutes pièces aux confins de l'Asie par le multimillionnaire Patera. La capitale, "Perle", ville étrange et crépusculaire en dehors de l'espace et du temps, apparaît d'abord au dessinateur comme une source d'inspiration bienvenue. Mais après la mort de sa femme, il voit ce lieu fantastique se métamorphoser au fur et à mesure que sa fascination pour lui augmente. La deuxième partie du livre raconte l'effondrement de l'"Empire du rêve", qui sombre dans le cauchemar.



En 1906, Kubin fait l’acquisition du petit château de Zwickledt, près de Schärding, en Haute-Autriche, dans lequel il vivra, reclus, jusqu’à sa mort.

Même si parfois, dans ses dessins, on le sent malicieux quand il laisse filtrer des messages sarcastiques, notamment contre l'empire austro-hongrois, l'atmosphère de son oeuvre est lourde. Créant tout un bestiaire fantastique, Kubin évoque l'animalité de l'homme, sa monstruosité. Il dénonce la bêtise de la vie, sa futilité qui asservit l'homme aux gouvernements et à ses pulsions pour au final n'aboutir qu'à la mort. La vie est grotesque et violente comme sont grotesques et violentes les représentations qu'en fait Kubin. 

Seul le fantastique sauve Kubin de ce destin. Il se réfugie dans ce monde, si terrible, glacial, tourmenté soit-il pour échapper à cette violence. Celle de son père le frappant avec un bâton. Eros et Thanatos sont partout dans son oeuvre. Eros, représenté par ces serpents, symboles phalliques, qui finissent par vous étouffer. Le pauvre petit humain, n'a pour option, durant son rapide parcours sur terre, que d'être confronté à la peur, la violence, les catastrophes, l'isolement, l'enfermement, la maladie qui le conduisent inéluctablement à un funeste destin. Tout n'est qu'histoire de domination et de pouvoir. 

L'homme est un impuissant dominé par des démons fantastiques, offert aux affres du monde, et qui n'a aucun contrôle sur ce qui lui arrive. Seul le sexe peut être source de divertissement, et encore, chez Kubin, le sexe, représenté surtout en terme de domination, fait peur. La femme et surtout la dualité homme-femme est un terme récurrent chez Kubin. Cette femme souvent représentée mi-femme, mi-animal, est tour à tour séductrice, mère originelle et femme destructrice de vie, prostituée ou infanticide. Elle est toujours opposée à l'homme et n'en est pas la partenaire, l'accompagnatrice.

La vie effraie l'artiste au plus haut point. Et la seule façon de conjurer son angoisse, est pour lui, le retrait, l'isolement physique, artistique et intellectuel pour conjurer ses démons sur le papier. Son oeuvre est puissante, unique, sombre et profonde; et elle amène, telle la philosophie à se questionner sur le sens de la vie et la place de l'homme dans le monde. Certains l'ont vu comme un fou misanthrope, bardé de névrose, voire de psychose. A tel point que la première édition allemande de « ma vie » fut publiée en 1970 en annexe de l’essai de Wolfgang K. Mûller-Thaleim: "Erotik und Dämonie im werk Alfred Kubin", sous-titrée "Eine Psychopathogische Studie". Kubin n'était pas fou, mais frappé par la violence de la vie, il avait une vision extrêmement pessimiste de l'existence et avait le génie pour créer une oeuvre terrifiante qui nous ouvre les yeux.


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Nous commencerons la présentation des œuvres de Kubin par les dessins d'après 1910, qui sont, à mes yeux, moins intéressants, sa meilleure période s’étalant de 1900 à 1905. A partir de 1905, il introduit la couleur dans son travail, peut-être pour en atténuer la violence. Cette couleur dénature, à mon gout, son travail que le noir et blanc magnifie. Son style change également, les traits sont hachurés, moins précis.





Auf der Flucht 1920







 Reisigsammler (Le ramasseur de brindilles) de la série Ein neuer Totentanz (Une nouvelle danse de la mort), 1947







Der Tod holt den Zeichner (La mort porte le dessinateur) de Ein neuer Totentanz, 1947







Dirne (Prostituée) de Ein neuer Totentanz, 1947







Eislaufplatz (Patinoire) de Ein neuer Totentanz, 1947








Gespenst des geizigen Müllers (Le spectre du meunier avare), 1919







Immer und Immer ( Encore et toujours),1937







Der Kaiser von China (L'empereur de Chine), 1910





Les œuvres des débuts - La période 1900-1905








Wissenschaft (Science), 1901-02








Pendulum








Dolmen, 1900-1902








Gefahr (Danger), 1901








Dämonen (Démons)









Das Idol (L'idole), 1902-03








Das Ei (L'oeuf), 1901-1902








Die Fruchtbarkeit (La fertilité), 1901-02








Die Dame auf dem Pferderücken (La lady à cheval), 1900-1901








Der Dämon auf dem Kaminsims (Le démon sur la cheminée), 1902








Der beste Doktor (Le Meilleur Médecin)








Die Zeit der Geburt (Le moment de la naissance), 1901-1902







Sunken (Le passé), 1902









Die schwarzen Masken (Les masques noirs), 1905








Oppression, 1900-1901








Alpines Traum (Rêve alpin), 1904








Sibirisch Feeschwanz (Conte de fées sibérien), 1901-1902








Die Brut (La couvée), 1903








Ins Unbekannte (Vers l'inconnu), 1900-1901








Tier Traum (Rêve animal), 1903








Epidemie, 1901








Hungersnot (La famine), 1901








Die ewige Flamme (La flamme éternelle)








Das Teich (L'étang), 1905








Jede Nacht kommt ein Traum, uns zu besuchen (Chaque nuit, un rêve vient nous visiter), 1900-1903








Das Grausen (L'horreur), 1901









Der Letzte König (Le dernier roi), 1902








Der Sieger (Le gagnant), 1899-1900








Der Wanderer an der Mauer (Le voyageur sur le mur)








Die Appe (Le singe), 1903-1904








Die Friedhofsmauer (Le mur du cimetière)








Ausrottung (Extermination), 1902








Gedenke des langen Schweigens (Rappelez-vous le long silence)








Der Staat (L'état), 1901








Haushamerlinde








Heidnisches Opfer (sacrifices païens)








Vor den Stufen (Sur les escaliers), 1900








Hiob (Job), 1901








 Die weisse Braut (La mariée blanche), 1903








 Verehrung (Adoration), 1900








Stolz (Fierté), 1899







Der letztes Abenteuer (La dernière aventure), 1901







Die Verlobte des Todes (La fiancée de la mort)








Das Haus der Ratte (La maison des rats)







Die Symphonie, 1901-1902








Der Geist des Balles (Le Fantôme du bal)








Die Schlange von Alptraum (Le serpent de cauchemard), 1903-04








Die männliche Sphinx (Le Sphinx male), 1901-1903








Ohne Titel (Die ewige Flamme) (Sans titre-La flamme éternelle),1900








Eisbär (L'ours polaire), 1901-1902








Selbstbetrachtung (Introspection), 1901-1902








Sterben (Mourir), 1899-1900








Der Mann (L'homme), 1902








Der Verfolgte (Le poursuivi)








Eine Frau für alle (Une femme pour tous) 1900-1901






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