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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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mardi 9 août 2016




Le panneau central








L'homme au centre de toutes choses.




GEN. I - 1.11 Puis Dieu dit: Que la terre produise de la verdure, de l'herbe portant de la semence,
des arbres fruitiers donnant du fruit selon leur espèce et ayant en eux leur semence sur la terre. Et cela fut ainsi.

1.12 La terre produisit de la verdure, de l'herbe portant de la semence selon son espèce, et des arbres donnant du fruit et ayant en eux leur semence selon leur espèce.
Dieu vit que cela était bon.

1.20 Dieu dit: Que les eaux produisent en abondance des animaux vivants, et que des oiseaux volent sur la terre vers l'étendue du ciel.

1.21 Dieu créa les grands poissons et tous les animaux vivants qui se meuvent, et que les eaux produisirent en abondance selon leur espèce; il créa aussi tout oiseau ailé selon son espèce. Dieu vit que cela était bon.

1.22 Dieu les bénit, en disant: Soyez féconds, multipliez, et remplissez les eaux des mers; et que les oiseaux multiplient sur la terre.

1.25 Dieu fit les animaux de la terre selon leur espèce, le bétail selon son espèce, et tous les reptiles de la terre selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.

1.26 Puis Dieu dit: Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre.

1.27 Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme.

1.28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez;
et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.

1.29 Et Dieu dit: Voici, je vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout arbre ayant en lui du fruit d'arbre et portant de la semence: ce sera votre nourriture.

1.30 Et à tout animal de la terre, à tout oiseau du ciel, et à tout ce qui se meut sur la terre, ayant en soi un souffle de vie, je donne toute herbe verte pour nourriture. Et cela fut ainsi.

1.31 Dieu vit tout ce qu'il avait fait et voici, cela était très bon. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le sixième jour.









Examinons maintenant le panneau central qui représente par convention la scène principale du triptyque. Qu'y voyons-nous? Un peuple d'humains, tous nus. Il règne un esprit de joie, d'allégresse, du jeu et de séduction. Il n'y a ni enfant, ni vieillards. Ils semblent tous avoir le même âge celui de la jeunesse, comme si le temps s'était arrêté. Ils ne travaillent pas, ne cultivent pas la terre, mais semblent profiter d'un jardin merveilleux et fertile donnant des fruit monstrueux. Il ne mangent d'ailleurs que des fruits, pas de viande. Il n'y a pas de feu pour la faire cuire. En dehors de deux griffons et de ce qui pourrait être un hybride entre un chat géant et de licornes, il n'y a sur terre aucun animal fantastique.












Le griffon ayant capturé un ours



Jusqu’aux explorateurs Jean Du Plan Carpin, Guillaume de Rubrouck, Odéric de Pordenone et surtout Marco Polo (1254-1325), le Moyen Âge se représente le monde animal à travers l’autorité du Physiologus. Dans une société où les déplacements restent limités, on comprend donc pourquoi, jusqu’au XIVe siècle au moins, les hommes du Moyen Âge ne font pas la distinction entre animaux mythiques et exotiques : qui pourrait prétendre que le rhinocéros ou l’éléphant existent, et que la licorne, le griffon ou le phénix sont des animaux imaginaires, alors que personne n’a vu ni les uns, ni les autres. C’est le souvenir des textes et des œuvres antiques qui pèse sans doute le plus sur les représentations médiévales : les griffons, les sirènes, les centaures, les dragons sont connus depuis la mythologie grecque.


Figures familières aux hommes du Moyen Âge, les griffons sont très nombreux dans les enluminures où ils font partie du bestiaire traditionnel. On les rencontre fréquemment dans le décor des marges, dressés sur leurs pattes de lion, les ailes d'aigles déployées, ou bien portant des armories en compagnie d'une sirène, d'une licorne, ou encore parés des couleurs de l'aigle et du lion, les plumes bleues pour la tête et le col, les ailes de pennes vertes, le corps d'une fourrure fauve.












Griffon, Partie des 4 bêtes de la vision de Daniel. Beatus Liebanensis, Commentarius in Apocalypsin Vers 1220-1225






Le griffon de Mogadiscio






Le griffon ornemental (tête bleue, ailes vertes)



L'art roman, qui en fait grand usage, a transmis le griffon à l'héraldique où il devient l'emblème du courage. En effet, le griffon associe le courage et la force du lion à la ruse et la vigilance de l'aigle, deux animaux considérés comme les plus forts, l'un sur terre et l'autre dans le ciel. Trois blasons au griffon figurent ainsi dans le Grand Armorial de la Toison d'Or qui recense, aux alentours de 1435, neuf cent cinquante armoiries de différents pays et régions d'Europe.












La sirène







Depuis la mythologie grecque les sirènes qui séduisaient les marins par leurs chants et les entraînaient vers la mort ont fasciné l'imaginaire des hommes. La sculpture romane les représente aussi bien avec un corps d'oiseau selon la tradition grecque qu'avec un corps de poisson selon les mythes germaniques. C'est au Moyen Age que la représentation des sirènes tend à se modifier considérablement, cette transformation dans la représentation des sirènes tenant à l'émergence de la queue de poisson. C'est dans un manuscrit anglo-saxon datant du VIIIe ou du IXe siècle que va réellement émerger la figure de la sirène comme nous nous la représentons aujourd'hui à savoir une créature mi-femme mi-poisson.





Ulysse séduit par les sirènes, enluminure du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, Venise ou Padoue, vers 1340-1350, Bibliothèque Nationale de France, Paris.



C'est Aldhem de Malmesbury qui propose une nouvelle version de la sirène : "les sirènes sont des jeunes vierges marines qui séduisent les marins à l'aide de leurs formes splendides et leurs chants mielleux. De la tête jusqu'au milieu du torse elles ont des corps en tous points identiques à ceux des femmes ; pourtant, elles ont en-dessous des queues écailleuses de poissons, qu'elles gardent toujours bien cachées sous l'eau, dans les vagues".





Enluminure du Livre des échecs amoureux moralisés d’Evrart de Conty, 15e siècle. 








Enluminure du Livre des échecs amoureux moralisés d’Evrart de Conty, 15e siècle. (détail)





Dans les textes des ecclésiastiques du moyen-âge, la figure de la sirène renvoie à l'image d'une créature séductrice et voluptueuse dont le fidèle est invité à se méfier. Elle symbolise trois péchés : l'envie, l'orgueil et la volupté. Elle est aussi un être double, humaine au-dessus, animal au-dessous. Ne pourrait-elle pas symboliser alors le combat de l'homme contre sa dualité, une partie humaine et donc spirituelle contre une partie animale et charnelle.

Bosch a ici retenu son imagination fertile, et s'est abstenu de créer des animaux invraisemblables et monstrueux. Et pour tout dire, à part un poisson volant dans le ciel, le monde qu'il nous présente ici est un monde normal pour l'imaginaire du moyen-âge. Seul entorse à la réalité la disproportion de certains animaux et de certains fruits, voulant témoigner de l'abondance de ce monde. Tout le monde est joyeux et serein. Beaucoup s'amusent, font la roue ou d'autres acrobaties. D'autres comptent fleurète. Les autres mangent des fruits merveilleux. Pas d'agressivité, de menace encore moins de violence. Tout laisse à penser que nous avons ici un monde idéal.



Les oiseaux géants





De gauche à droite. Sur le côté supérieur gauche il s'agit d'un geai, en dessous un canard sauvage, puis une huppe, facilement identifiable à sa crête rose et orange. En bas à gauche, un martin-pêcheur, au dessus, un pic-vert, puis un passereau, l'homme est assis sur un col-vert. Tout à droite, un chardonneret. Et tout en bas, à gauche, la fameuse chouette.




Les deux choses qui frappent dans ce panneau sont l'abondance et le jeu.

L'abondance est symbolisée par le nombre de fruits différents, les mûres, les fraises, les pommes(qui, ici, n'ont rien à voir avec le fruit défendu), les cerises, les câpres, les myrtilles, les mirabelles et d'autres, exotiques non reconnaissables ou imaginaires. Mais également symbolisée par la taille démesurée de certains fruits, qui fait que les hommes ont du mal à les porter, ou même se réunissent autour.

















































Le jeu est présent partout. On dirait une immense troupes de grands enfants faisant des acrobaties et des pirouettes, des pyramides humaines, se pendant aux arbres, jouant à cache-cache, à chat perché, souvent les fesses en l'air et faisant des animaux des compagnons de jeu.
























































L'architecture


Dans une campagne luxuriante, Bosch a peint une architecture merveilleuse, harmonieuse, aux formes étonnantes, faite de végétaux et d'éléments semblant organiques. Ainsi, de part et d'autre de la tour centrale, se situent deux constructions qui se répondent. Sur la gauche, ce que nous appellerons l'élément féminin avec des formes particulières qui nous rappelle le sexe de la femme avec le clitoris. Sur la droite, l'élément masculin avec, à son sommet ses structures phalliques. Ses deux éléments se répondent et sont le symbole de l'union de l'homme et de la femme.



L'élément féminin














L'élément masculin 










Les symboles phalliques



Au centre, une tour merveilleuse, en tout point symétrique, symbole de perfection, représente l'arbre de vie, répondant ainsi à l'arbre de vie du panneau de l'Eden. A ses pieds coule la fontaine de jouvence, source de vie. Tout n'est que douceur, volupté et abondance. Cette abondance est symbolisée par des fruits démesurés qui apportent à l'homme ce qu'il faut pour vivre sans qu'il ait à cultiver.


L'arbre de vie




















Les rapports entre les humains et les animaux



Pour un récit qui devrait être biblique, le rapport entre les hommes et les animaux sont très étranges.


GEN. I - 1.28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.

L’harmonie qui règne originellement entre les habitants du Paradis, hommes et bêtes, qui sont tous herbivores, est souvent représentée dans les manuscrits de la Genèse. Puis, après qu’Adam et Ève ont été chassés du Paradis terrestre, une nouvelle chance est accordée à l’homme avec le déluge : Noé embarque un couple de chaque espèce vivante dans l’arche, paradis retrouvé où hommes et animaux sont à leur place. Mais, au moment du sacrifice qui suit le débarquement, Dieu autorise l’homme à se nourrir de l’animal, et l’animal qui aura versé le sang de l’homme devra rendre des comptes : les rapports entre hommes et animaux s’inscrivent désormais dans une dynamique de lutte, mais aussi d’espérance en un retour à l’harmonie du Paradis.


Or ici, l'homme n'a pas assujetti l'animal. Il semble être bien au contraire son égal. L'animal est à bien des égards un compagnon de jeux. Et même parfois plus. Regardez ce couple formé entre cet homme et cette chouette. Ne pourrions-nous pas remplacer la chouette par une femme. Ces deux là semblent flirter. l'homme est séduit par la chouette symbole de connaissance et de sagesse.



Les compagnons de jeu






























Voire plus...





Bien loin de commander aux animaux et même de les manger, l'homme est dépendant de ceux-ci, car à de nombreux endroits, c'est l'animal qui nourrit l'homme avec des fruits comme s'il donnait la becquée à une nichée. l'homme est un végétarien nourrit par un oiseau qui lui apporte les fruits qu'il a cueilli. Curieux retournement de situation et curieuse image du rang de l'homme vis à vis de l'animal pour un religieux. Et tout ce petit monde se mélange gaiement, les oiseaux dans l'eau et les poissons dans le ciel ou sur terre.






























Le poisson volant




La fontaine de Jouvence et l'amour courtois





La Fontaine de Jouvence de Maître aux Banderoles XVe actif de 1460 à 1467










L'homme est un être oisif, il ne travaille pas, il est nourrit par les oiseaux et passe son temps à jouer et à flirter. Certains ont vu dans cette scène un érotisme torride. Je ne le pense pas. L'homme ne fait pas l'amour. En tout cas, il ne se reproduit pas, il n'y a pas d'enfant et tous semblent avoir le même âge. En dehors de la scène de la moule où effectivement on peut imaginer certaines choses en voyant ces jambes dépasser, mais en dehors de cela point de scène scabreuse où pouvant porter à confusion, mais d'innocentes scènes de flirt comme pourraient le faire une bande de pré-ado. 





La moule




Le flirt
































Ces hommes semblent bien innocents vis à vis de leur nudité, comme le montre celui-là qui s'est mis un bouquet de fleurs dans le derrière comme une espèce de plaisanterie potache. Tout se passe autour d'un jeu de séduction qui semble ne pas aboutir.







J'en veux pour témoin cette fontaine de Jouvence dans laquelle se baignent nonchalamment des femmes dont certaines semblent même s'ennuyer, indifférente à la cavalcade de séduction que font autour d'elles les hommes et qui semble ne jamais vouloir s'arrêter. Les hommes, d'ailleurs n'ont pas vraiment l'air d'être à ce qu'ils font. Ils discutent entre eux, font des acrobaties, s'amusent les uns avec les autres, et au final peu d'entre-eux regardent les femmes vers le centre. Leurs regards sont tournés vers l'extérieur. Point de regard lubrique de l'homme en rut qui va fondre sur la femme n'en pouvant plus d'attendre d'exulter.































Les femmes du centre sont dans le même état d'esprit, elles se baignent, jouent entre-elles, regardent vaguement amusées les hommes une pomme sur la tête où leur tournent le dos. Point d'érotisme ici, mais un jeu. Le flirt est partout, mais nul part on ne peut voir un geste déplacé. Pas de luxure comme l'ont dit certains, peut-être un vague désir. 























Elle s'ennuie?



L'atmosphère est vraiment très différente de cette représentation de la fontaine de Jouvence attribuée à Giacomo Jaquerio et de celle d'Israhel van Meckenem. Regardez comme les hommes sont ici beaucoup plus entreprenants vis à vis des femmes. On est ici dans des scènes érotiques où les couples vont passer à l'acte, bien loin de la vision naïve de Bosch.





Maître du château de la Manta. Fontaine de Jouvence (v. 1420) attribuée à Giacomo Jaquerio






Détail








Israhel van Meckenem (vers1445-1503. Allemagne). Der Tanz um den Ring. On est ici également dans l'érotisme et la lubricité, regardez en bas à gauche, le danseur qui tire la langue en signe de désir.



On est, dans le jardin des délices, dans la tradition de l'amour courtois du moyen-âge.





L'Amour mène la danse. Miniature du XIVe siècle illustrant un manuscrit du Roman de la Rose. (Bibliothèque nationale de France, Paris.)



L’amour courtois est une conception de l'amour d'un homme pour une femme qui est née au XIIe s., dans le midi de la France, avec les troubadours occitans, et qui s'est éteinte dans la seconde moitié du XIIIe s. Elle s'est développée ensuite dans le Nord, avec les trouvères, ainsi que dans d'autres pays d'Europe, notamment germaniques, avec les minnesänger. Étymologiquement, le terme « courtois » fait référence à la cour (de l’ancien français cort). 

En vieux français, le mot corteis prend le sens d'« honnête », « loyal ». Par ailleurs, ce qui est courtois s'oppose à ce qui est « vilain », c'est-à-dire le monde rude et grossier du paysan. Enfin, la notion de courtoisie renvoie à un ensemble de valeurs, de règles de savoir-vivre. L'amour courtois n'est ni libertinage, ni passion brutale, il est presque une ascèse pour le chevalier, qui doit, pour mériter la femme qu'il aime, se soumettre entièrement à elle. La dame est suzeraine, le chevalier est son vassal. 





La Ronde au dieu d'amour Manuscrit du Roman de la Rose (1420-30).







Page du Roman de la Rose, de Chaucer, vers 1440 (MS Hunter 409, page folio 57v, V.3.7).




L'idéal de l'amour courtois est exposé dans le Roman de la Rose, une des grandes œuvres du XII° siècle en France. Dans ce Roman, le poète pénètre dans un jardin où se trouve un étang magique. Un rosier se reflète dans cet étang, et le poète désire cueillir une simple fleur, sans toutefois se blesser sur les épines, pour s'unir avec la beauté de la rose. L'histoire est certainement une allégorie des malheurs du chevalier (le poète) et de la dame (la rose). L'idéal français de l'amour courtois décrit le chevalier comme étant au service d'une dame inaccessible, souvent l'épouse de son maître, dans une relation chaste mais idéalisée sur le plan romantique, et d'une noblesse infinie.









Je trouve qu'ici cet amour courtois pourrait être symbolisé par ce couple dans une sphère de verre semblant issue d'une fleur avec son fruit en dessous. l'homme posant la main sur le ventre de la femme, symbole de fécondité, et elle lui tenant la jambe. Il la regarde intensément et tendrement, prêt à l'embrasser. Il forme dans ce véhicule merveilleux de l'amour, un couple parfait. 

C'est, je pense, la seule allusion parmi les couples présents à l'acte sexuel. La main sur le ventre, la proximité du couple, et ce fruit qui symbolise le résultat de leur union. Et ce curieux petit personnage à l'intérieur du fruit dont on ne voit que la tête et qui regarde indifférent le rat entrer par le tube de verre; il a l'air fatigué, tient-il la chandelle? Je laisserai à Bosch ce symbole bien difficile à interpréter. Mais je le vois bien, hilare en le peignant, pensant à quelque chose de bien précis qu'il emportera dans la tombe avec lui.


L'âge d'or


Ces humains semblent donc vivre à l'âge d'or. L'âge d'or est celui qui suit immédiatement la création de l'homme alors que Saturne (ou Cronos pour les Grecs) règne dans le ciel : c'est un temps d'innocence, de justice, d'abondance et de bonheur ; la Terre jouit d'un printemps perpétuel, les champs produisent sans culture, les hommes vivent presque éternellement et meurent sans souffrance, s'endormant pour toujours.

« En l’absence de tout justicier, spontanément, sans loi, la bonne foi et l’honnêteté y étaient pratiquées. (…) La Terre elle-même, aussi, libre de toute contrainte, épargnée par la dent du hoyau, ignorant la blessure du soc, donnait sans être sollicitée tous ses fruits. » (Ovide)


L'âge d'or ou la façon idéale de vivre des Adamites. Rappelons-nous, les Adamites, cette secte qui croyait que la meilleur façon de se rapprocher de Dieu était de vivre comme Adam avant le péché originel. Nous l'avons vu, sur le panneau de gauche, représentant l'Eden, effectivement la faute originelle n'a pas été commise. Nous sommes alors ici devant l'humanité dont les ancêtres n'ont pas commis de faute. La culpabilité est abolie, tous vivent dans l'innocence, l'insouciance, nus, sans hiérarchie (il n'y a même pas de hiérarchie entre les humains et les animaux, l'homme n'a pas assujetti les animaux comme lui a ordonné Dieu), sans argent, sans même à devoir cultiver la terre, les oiseaux les nourrissent (les Adamites s'interdisaient de cultiver la terre), ils sont uniquement végétariens comme eux, et semblent pratiquer l'amour libre, sans distinction de race. Nous sommes devant une humanité renaissante qui ne connaîtra pas l'Enfer.


C'était la thèse de Wilhelm Fraenger, l'historien d'art allemand, qui a été rejetée par la suite. Les inclinaisons actuelles tendent vers la thèse de Jean Wirth, historien, qui estimait que Le Jardin des délices montrait une utopie : "Comment serait l'humanité si l'homme n'avait pas commis le péché originel". Je ne vois pas la différence. Dans les deux cas, le péché n'a pas été commis. Et le tableau décrit avec une précision étonnante ce que nous savons du mode de vie des Adamites. Autre élément en faveur de cette thèse, le panneau droit représentant l'Enfer. On y distingue tous les représentants du pouvoir, le clergé, la noblesse et l'armée, tourmenteurs ou tourmentés. On peut y voir un certain rejet des institutions comme le prônait les Adamites. Rejet de l'argent également dans cette scène où l'on voit un homme déféquer des pièces d'or. Et enfin, mais non des moindres, la représentation de l'Ostie et du Calice, le pain et le vin de la communion sous les deux espèces qu'avait aboli en 1415 l'église et que réclamaient Jan Huss et les hussites. Toujours est-il, Adamites où pas, ce tableau de Bosch nous montre ici une vision toute nouvelle pour le peintre qui est souvent apparu comme tourmenté, pessimiste et moralisateur.

L'humanité n'est plus péché, l'homme n'est plus un être mauvais, bardé de vices qui doit suivre à la lettre les préceptes de l'Eglise et des gouvernements et qui finira de toute façon en Enfer, quoi qu'il fasse. A l'aulne de la renaissance, Bosch embrasse les idées de l'humanisme et des frères du Libre Esprit, qui, chose toute nouvelle, enseigne que l'homme a le choix entre le bien et le mal, que tout n'est pas joué d'avance. Que rejetant les institutions corrompues, s'il cherche Dieu, seul, en lui-même, et arrive à distinguer le bien et le mal, par cela, il échappera aux tourments éternels de l'Enfer. Le Jardin des délices est en cela une œuvre unique, lumineuse, humaniste et optimiste qui nous dit que tout n'est pas perdu.





Jérôme Bosch, Visions de l'au-delà,vers 1505-1515. Huile sur panneau de chêne. Museo di Palazzo Grimani, Venise.

La Montée des bienheureux vers l’empyrée












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