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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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vendredi 12 février 2016




Vincent van Gogh, 1853-1890. Pays-Bas



La chambre de la maison jaune à Arles





L'Art Institute de Chicago qui possède la deuxième des trois versions de la chambre de van Gogh dans la maison jaune à Arles, a eu la bonne idée de réaliser une reproduction en taille réelle de cette chambre dans laquelle on peut passer une nuit pour 10$. Une occasion pour revenir sur l'histoire de ce tableau.

















Le 19 février 1888, épuisé par l'absynthe, van Gogh quitte Paris pour trouver un havre de paix à Arles. Il vient de passer deux ans à Paris, attiré dans la capitale par ce nouveau mouvement dont il a entendu parler et qu'il souhaite découvrir, l'impressionnisme. 

Il fréquente l’Académie du peintre Cormon, où il fait la connaissance de Henri de Toulouse-Lautrec, de Louis Anquetin, d’Émile Bernard ainsi que de John Peter Russell.Son frère Theo qui est gérant de la galerie montmartroise Boussod, Valadon & Cie, lui présente les impressionnistes ainsi que Gaugin, mais aussi les membres du néo-impressionniste Georges Seurat et Camille Pissarro. 

Il devient l'ami de Paul Signac qui l'initie aux nouvelles théories sur la lumière et au divisionnisme. Il y découvre également le japonisme au travers des estampes japonaises très en vogue à l'époque. Sa palette s'enrichit de couleurs vives, il acquière une aisance et une liberté plus grande dans ses compositions, sa touche se fragmente. Fort de tous ces enseignements qui ont engendrés un tournant dans son oeuvre, mais épuisé, il arrive à Arles le 20 février 1888. 

Il s'installe d'abord dans la vieille ville, à l'hotel Carrel dans le quartier des prostituées. Il loue par ailleurs une partie de la "maison jaune" pour en faire son atelier. Il s'y installera le 17 septembre.

Attendant la venue de Paul Gauguin, avec qui il souhaite fonder un cercle d'artistes et qui arrivera le 23 octobre, il prend pour sujet sa chambre dans la maison jaune. Il envoie alors à Théo cette lettre pour le tenir au courant de l'avancement du tableau dont il est très satisfait.




Lettre à Théo, Arles, mardi 16 octobre 1988

















Mon cher Theo –

Enfin je t’envoie un petit croquis pour te donner au moins une idée de la tournure que prend le travail. Car aujourd’hui je m’y suis remis.
J’ai encore les yeux fatigués mais enfin j’avais une nouvelle idée en tête et en voici le croquis. Toujours toile de 30.

C’est cette fois ci ma chambre à coucher tout simplement, seulement la couleur doit ici faire la chôse et en donnant par sa simplification un style plus grand aux chôses, être suggestive ici du repos ou du sommeil en général. Enfin la vue du tableau doit reposer la tête ou plutôt l’imagination.

Les murs sont d’un violet pâle. Le sol – est à carreaux rouges.
Le bois du lit et les chaises sont jaune beurre frais.
le drap et les oreillers citron vert très clair.
La couverture rouge écarlate.
La fenêtre verte.
la table à toilette orangée, la cuvette bleue.
Les portes lilas.
Et c’est tout – rien dans cette chambre à volets clos.
La carrure des meubles doit maintenant encore exprimer le repos inébranlable.
Des portraits sur le mur et un miroir et un essuie mains et quelques vêtements.
Le cadre – comme il n’y a pas de blanc dans le tableau – sera blanc.
Cela pour prendre ma revanche du repos forcé que j’ai été obligé de prendre.
J’y travaillerai encore toute la journée demain mais tu vois comme la conception est simple.– Les ombres et ombres portées sont suprimées, c’est coloré à teintes plates et franches comme les crepons.
Cela va contraster avec par exemple la dilligence de Tarascon et le café de nuit.

Je ne t’ecris pas longtemps car je vais commencer demain fort de bonne heure avec la lumière fraiche du matin pour finir ma toile.
Comment vont tes douleurs, n’oublie pas de m’en donner des nouvelles.
J’espère que tu ecriras de ces jours ci.
Je te ferai un jour des croquis des autres pieces aussi.
Je te serre bien la main.

t. à t.
Vincent


Le lendemain, il écrit à Paul Gauguin, qu'il attend pour le 23 octobre à Arles, au sujet de son tableau.




A Paul Gauguin, mercredi 17 octobre 1988


















Mon cher Gauguin

merci de votre lettre et merci surtout de votre promesse de venir déjà le vingt. Certes cette raison que vous dites doit ne pas contribuer à faire un voyage d’agrément du trajet en chemin de fer et ce n’est que comme de juste que vous retardiez votre voyage jusqu’à que vous puissiez le faire sans emmerdement. Mais à part cela je vous l’envie presque, ce voyage qui va vous montrer en passant des lieues et des lieues de pays de diverse nature avec les splendeurs d’automne.

J’ai toujours encore présent dans ma mémoire l’emotion que m’a causé le trajet cet hiver de Paris à Arles. Comme j’ai guetté “si cela etait déjà du Japon”! Enfantillage quoi.

Dites donc je vous ecrivais l’autre jour, que j’avais la vue etrangement fatiguée. Bon je me suis reposé deux jours & demi et puis je me suis remis au travail. Mais n’osant pas encore aller en plein air, j’ai fait toujours pour ma decoration une toile de 30 de ma chambre à coucher5 avec les meubles en bois blanc que vous savez. Eh bien cela m’a enormement amusé de faire cet interieur sans rien.

D’une simplicité à la Seurat.

A teintes plates mais grossierement brossées en pleine pâte, les murs lilas pâle, le sol d’un rouge rompu & fané, les chaises & le lit jaune de chrome, les oreillers et le drap citron vert très pâle, la couverture rouge sang, la table à toilette orangée, la cuvette bleue, la fenetre verte. J’avais voulu exprimer un reposabsolu par tous ces tons très divers vous voyez, et où il n’y a de blanc que la petite note que donne le miroir à cadre noir (pour fourrer encore la quatrième paire de complementaires dedans).

Enfin vous verrez cela avec les autres et nous en causerons. Car je ne sais souvent pas ce que je fais, travaillant presqu’en sonnambule.

Il commence à faire froid surtout les jours de mistral.
J’ai fait mettre le gaz dans l’atelier pour que nous ayons une bonne lumière en hiver.
Peutêtre serez vous desenchanté d’Arles si vous y venez par un temps de mistral mais attendez... C’est à la longue que la poésie d’ici pénètre.

Vous ne trouverez pas encore la maison aussi comfortable que peu à peu nous chercherons à la rendre. Il y a tant de dépenses et cela ne peut pas se faire d’une seule haleine. Enfin je crois qu’une fois ici vous allez comme moi etre pris d’une rage de peindre, dans les intervalles du mistral, les effets d’automne. et que vous comprendrez que j’aie insisté pour que vous veniez maintenant qu’il y a de bien beaux jours. Allons, au revoir.

t. à v.
Vincent




Une fois le tableau terminé, une toile de 72 sur 90 cm, il le fait parvenir à son frère à Paris. Malheureusement la toile est endommagée par une inondation, Théo demande alors à Vincent de réaliser une autre toile le temps que la première soit restaurée. Cette toile sera réalisée moins d'un an plus tard alors qu'il est interné à l'asile de Saint-Rémy-de-Provence. Van gogh demande à Théo de lui envoyer la première version pour servir de modèle. Il ne réalise pas une copie fidèle, mais retravaille les couleurs. Alors que la première version rejoindra le musée van Gogh à Amsterdam, la copie sera acquise par l'Art Institute de Chicago. Par la suite, heureux du résultat, il réalisera une troisième version plus petite, quelques semaines plus tard, qu'il offrira à sa sœur. Cette version rejoindra la collection du Palais d'Orsay à Paris.







La Chambre de Van Gogh à Arles, octobre 1888. Huile sur toile, 72 × 90 cm. Musée van Gogh - Fondation Vincent van Gogh, Amsterdam (Pays-Bas)








La Chambre de Van Gogh à Arles, 1889. Huile sur toile, 72 × 90 cm. The Art Institute of Chicago, Helen Birch Bartlett Memorial Collection.







La Chambre de Van Gogh à Arles, octobre 1889. Huile sur toile, 57,3 x 73,5 cm. Musée d'Orsay, Paris, France




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