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"La différence entre l'érotisme et la pornographie c'est la lumière". Bruce LaBruce
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jeudi 7 janvier 2016




John Barrington, 1920-1991. Angleterre










LA DOUBLE VIE D'UN PHOTOGRAPHE

ou

L’IMPOSSIBILITÉ D'ADMETTRE SON HOMOSEXUALITÉ



(Cet article est une refonte de tous les articles consacrés à John Barrington sur ce blog)







Autoportrait



Pour un hétéro, marié avec deux enfants, le photographe John Barrington a eu beaucoup de relations sexuelles avec des jeunes hommes musclés. En fait il a affirmé, chose un peu irréaliste d'avoir eu des rapports sexuels avec chacun de ses modèles masculins au cours d'une carrière qui a duré environ cinquante ans.

Barrington est né le 2 Novembre 1920. Il était l'enfant illégitime de Grace Pigott qui fréquentait un noble autrichien nommé Franz Engeljähringer. Bien qu'il savait que l'enfant n'était pas le sien, il l'accepta et épousa sa mère. L'école n'était pas le fort de Barrington sauf pour les matières artistiques. Sur les conseils d'un professeur, il poursuivit sa scolarité à l'école St. Martin of Art, puis à West End.

Dés le début de ses études, il s'est transformé en un personnage excentrique, avec de longs cheveux, des vêtements étranges, avec une canne et un monocle. Il prit alors le nouveau nom de John Shreeve Barrington. Il commença à photographier des garçons nus autour de l'étang de Hampstead quand il avait 18 ans, alors qu'il découvrit son premier modèle de 16 ans, un ébéniste de Tufnell Park appelé David Dulak.






Brian



En 1938 , il se rendit à Paris, où il fréquenta les milieux artistiques pendant la journée et les maisons closes, les bars et les clubs la nuit. Il termina son séjour en France par la ville de Cannes, la Mecque gay dans les années d'entre deux guerre, où il a eu sa première véritable expérience sexuelle avec un autre homme.

Il commença alors à tenir un journal intime: “ Pick up superb sailor, take him to office and fuck him ‘silly’…give him a bottle of whisky and £5.” ("Ramasse un superbe marin, emmène le au bureau et baise le l''idiot' ... donne lui une bouteille de whisky et 5 £.")




Andreas Georges 




















Il s'est toujours rendu au festival de Cannes en tant que journaliste photographique. Il a photographié les Beatles et Pablo Picasso, Sophia Loren et Leslie Caron. Mais bien sûr, il était surtout là pour photographier les hommes.






Alain Delon, Cannes







Alain Delon,  Londres, 1959







Alain Delon,  Londres, 1959







Alain Delon,  Londres, 1959



Pendant la deuxième guerre mondiale, Barrington gagnait sa vie en tant qu'agent de théâtre et fut impliqué dans une affaire douteuse de cosmétiques. En Janvier 1945, la société de cosmétiques a été auditée par l'administration fiscale et Barrington a été condamné à douze mois de prison pour fraude. A sa sortie, pour payer son amende, il s’attela à plusieurs projets qui devaient rapporter de l'argent. Il a initié des productions théâtrales et a présenté ses propres pièces de théâtre.




Mark





































Barrington découvrit la vie nocturne et secrète du monde gay londonien par l'entremise d'un amant, Roy Peter Wilson, qu'il a rencontré peu de temps après la Seconde Guerre mondiale. Ce monde consistait en des bars ou l'on pouvait rencontrer des soldats, des marins et les soudoyer avec de l'alcool et un peu d'argent.

Mais il préférait ramasser les militaires dans les bars à filles. Chose qu'il fit très longtemps grâce à la Benzédrine, une amphétamine qu'il mettait dans son café. Son style de vie présentait des côtés dangereux. Il faut hospitalisé en 1948 pour une commotion cérébrale après avoie été tabassé par deux marins qu'il avait ramenés chez lui pour faire des photos et avoir des relations sexuelles. En Octobre 1949, il fut "piégé" par la police dans des urinoirs publiques. Il fut condamné à sept jours de prison dans l'attente d'un rapport psychiatrique, et à payer une amende.






Danny Purches






Danny Purches







Helmut Reidmeier







Jacques Pannier



Barrington a été emprisonné à plusieurs reprises. "Son expression du désir homosexuel était trop flagrante à une époque où il était très dangereux de l'être», dit le biographe de Barrington, Rupert Smith. "Il a été le témoin d'une culture gaie masculine très développée et du désir qui existait pendant toute cette période plutôt sombre des années 1930 aux années 1980. " (Sans Smith, qui a commencé à interviewer Barrington en 1985, l'ensemble des archives du photographe, composé de milliers de négatifs, aurait pu être mis au rebut).



Clyde












"Il a toujours été en porte-à-faux avec la loi. Dans les années 80, il a commencé le piratage des vidéos gay. Il allait les acheter en Europe et sans vergogne les dupliquait. Il vivait dans la peur constante des descentes de police. La maison était drôle parce qu'il y avait tout un tas de compartiments secrets derrière la boiserie. Il était absolument fou. Il ne s'est jamais arrêté."


Le photographe trouva enfin le moyen de gagner de l'argent avec sa collection considérable de plus de dix ans de photographie nue. Déjà avant la guerre, des magazines "physiques" d'athlètes portant un cache-sexe circulaient sous le manteau avec pour prétexte de servir de modèles aux artistes. Barrington proposa des clichès au magazine Strengh and Health qui lui pris trente photos. Il déposa par la suite des petites annonces dans les kiosque pour trouver des clients.








C'est comme cela qu'il rencontra Nigel Westfield, un riche collectionneur qui souhaitait s'investir dans la photographie et l'édition. Barrington avait trouvé son mécène. En échange, Barrington lui donnait des cours de photographie et lui fournissait des modèles. Westfield publia en 1950 le roman du photographe, Out of Sickness publié sous le nom de John Paignton. Le livre raconte l'histoire autobiographique d'un Romeo raté devenu escroc homosexuel, pendant les bombardements de Londres durant la guerre. «L'auteur a passé dix ans à vivre ce roman, et cinq ans à l'écrire», proclame le texte de présentation.








Comme on peut le lire en filigrane dans son journal, Barrington, depuis qu'il a quitté le domicile de ses parent, était à la recherche du grand amour. On voyait de temps en temps sur ses pages apparaître des phrases comme "Terry, je risque de tomber!" ou "De qui suis-je amoureux aujourd'hui? ERIC !!!" Mais son attirance pour les hétéros ne facilitait pas la tâche.

En 1952, il rencontra un beau soldat, Peter qui accepta de poser pour lui. Il le fit sans embarras mais refusa la relation sexuelle. Barrington écrivit dans son journal qu'il était «fou-amoureux de Peter!» Il lui envoyait des lettres et le photographiait. Peter se chagrinait de l'envie sexuelle que Barrington ne pouvait cacher et de la tension érotique de leur relation. Barrington essaya alors de se comporter de plus en plus en hétéro, allant même jusqu'à épouser une ex- petite amie de Peter, Anne, en 1955, dont il eut deux filles. Il perdit contact avec Peter après son mariage.
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Ricky Albioni


























"Cette chose que j'ai prié depuis si longtemps, cette relation normale et en bonne santé et joyeuse avec une fille", écrivit-il dans son journal. Il craignait de finir seul et rejeté comme c'était le cas pour de nombreux homos à l'époque. Il réussit à construire avec Anne une relation de 35 ans.

Au moment où leurs filles jumelles sont nées, Barrington était en amour avec Andreas, un chypriote, "le plus beau jeune homme que je n'ai jamais vu!" Mais Barrington continuait de maintenir qu'il était fondamentalement hétérosexuel. Il détestait les hommes efféminés bien qu'il le fût lui-même (certains le décrivent même comme une folle flamboyante). Une fois, dans son journal, il a calculé qu'il avait fait l'amour à sa femme 7000 fois, "plus de trois fois plus souvent que les hommes." Smith rejette tout ceci comme un formidable mensonge. "Les photographies sont une preuve tangible et irréfutable de l'énorme nombre de jeunes hommes qu'il avait pris nus."

En 1954, il lance le magazine Male Model Monthly. On n'y voyait comme la loi l'interdisait, ni organes génitaux, ni poils pubiens, mais des photographies plus explicites étaient disponibles par correspondance pour les amateurs. Quatre ans auparavant, en 1950, sous l'impulsion de Bob Mizer, Le premier magazine "physique", Physique Pictorial avait vu le jour aux Etats-Unis. John Barrington participera à ce magazine.





















Le 13 Décembre 1955, Barrington a été reconnu coupable et condamné à trois mois de prison et une amende de 250 livres pour avoir utilisé la technique que tous ces collègues utilisaient. Pour contourner la loi qui interdisait la diffusion d'images montrant des hommes nus, les photographes peignaient sur leurs clichés de nus un cache-sexe que l'on pouvait gratter une fois la peinture sèche.
Barrington a également publié un certain nombre de ses propres titres, tels que MAN-ifique. En 1956, il publia un livre, Youth in the Sun, recueil d'une centaine de photographies prises lors de son séjour à Cannes, en 1938.




















Jean Pierre Martin




































En 1958, il retourna dans le sud de la France pour y trouver les modèles méditerranéens qu'il affectionnait. Il y monta, pour survivre, un service touristique pour riches américains visitant l'Europe. Proposant une introduction à la vie nocturne et la rencontre des modèles qu'ils avaient vus sur ses photos.



Sur la plage du Martinez, Cannes, France.

































Le photographe travaillait régulièrement avec une poignée de modèles dédiés, selon ses clients, à la Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis. Giancarlo Zampetti, John Hamil, Yves Le coadou, Tibor Nozkay, un réfugié hongrois, Jean-Pierre Martin, un ancien pilote français de l'armée de l'air. Certains d'entre-eux étaient attirés par la perspective d'une carrière dans le mannequinât.

Barrington était "un sérieux pornographe." Bien qu'il travaillait pour tout une série de magazines, sa principale source de revenu était la vente de photos par correspondance. (Il a été emprisonné plusieurs fois pour l'envoi d'articles jugés obscènes par la poste). Nombre de ses modèles qui posaient pour ses magazines "physiques" ont participé à des séances plus poussées pour le plus grand plaisir des amateurs de pornographie.



Mico Donato 












Smith estime que Barrington a fait son meilleur travail entre 1958 et 1968. Il admet que Barrington était un piètre technicien («Son travail en chambre noire était horrible et les impressions qu'il a fait étaient vraiment mauvais. Son éclairage était assez rudimentaire avec des lampes branlantes.")
Mais il avait un œil et était très bon dans la spontanéité.

Un de ses coups les plus populaires, fut réalisé à Rome, dans la maison de Gore Vidal. Le modèle était l'un des petits amis de [Franco] Zeffirelli, qui se baladait nu et aguicheur, qu'il a saisi dans l'embrasure d'une porte. Il y a dans son travail une détente et une intimité que l'on ne retrouve pas ailleurs. Ses contemporains étaient beaucoup plus liés au studio avec cette distance beaucoup plus formelle entre l'appareil et le modèle.



Steve Wengryn 



















Marcel James








Mick Sloane







Mike Salmon







Neville Crabbeby














Les choses devinrent plus difficiles à la fin des années 60. Il ne correspondait pas à la façon de voir des publications qui naissaient et surtout il n'avait jamais pris soin de la présentation de ses clichés. Les clients se faisaient rares. Il devait à tout pris faire de l'argent. Il publia de mauvaises reproductions du travail de Von Gloeden, il pirata les travaux d' artistes comme George Quaintance et Tom of Finland.

Dans les années 80, un intérêt pour le corps dans la photographie commença à se développer aux Etats-Unis. L'Amérique s'intéressa enfin à son travail. En 1987, il fut invité pour une exposition à New York, et les critiques élogieuses le ravirent. En 1989, sa santé commença à décliner et il mourut d'une leucémie en 1991à l'hôpital de Charing Cross à Londres.



Léo







































Dessins de John Barrington




























LES MODÈLES FÉTICHES DE BARRINGTON




Giancarlo Zampetti

















































John Hamill
























































 Tibor Nozkay












































Yves Le Coadou 












































LA PORNOGRAPHIE DE BARRINGTON


Nettement plus lucratif, Barrington avait monté un réseau de distribution d'images pornographiques avec les modèles avec lesquels il réalisait ses photos plus innocentes. Cette pornographie, époque oblige, peut sembler bien anodine par rapport à ce qu'on peut voir aujourd'hui. Il y avait très peu de pénétrations, et beaucoup ne montraient qu'un homme en érection.





Helmut Riedmeier






Rick Wayne






Yves Le Coadou






Jacques and Tibor






Jacques and Tibor






Jacques and Tibor






Jacques and Tibor






Jacques and Tibor

























Vic Haywood






Vic Haywood




Barrington n' a jamais admis être homosexuel. Il avait des comportements homosexuels grâce à la photographie et à sa façon de flatter le narcissisme des modèles, de les séduire, et de flirter avec eux, ayant en tête principalement la conclusion sexuelle des séances de poses. Même grand-père, il ramassait des jeunes gens dans la rue en leur proposant de poser, espérant les mettre dans son lit. Barrington était surtout obsédé par les hommes hétéros qui se refusaient à lui.


La biographie de Smith n'est pas parue durant le vivant de Barrington. Ce dernier freinait des quatre fers pour retarder la publication. Il sabotait inconsciemment la progression du travail. Son homosexualité l'a dérangé jusqu'à la fin. Etant un peu (trop) fier de son travail, il aspirait à la reconnaissance et craignait que son style de vie, qu'il a toujours caché derrière l'apparence respectable d'un homme marié, ne vienne ternir son Oeuvre.


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Rupert Smith, Physique: The Life of John S Barrington. London/New York: Serpent’s Tail, 1997


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