Homodesiribus

samedi 2 novembre 2013

Amos Badertscher, 1936. Baltimore. USA

Autoportrait

Durant deux décennies, des années 70 aux années 90, Amos Badertscher a créé un témoignage photographique abrupte des adolescents en marge de la société de sa ville, Baltimore. Il trace le portrait de Sean, Dennis, Marty, Eddie, de jeunes délinquants abandonnés par l'Amérique. Drogue, violence, alcool, prostitution sont le lot quotidien de ces jeunes désœuvrés qui sombrent sans qu'on puisse les rattraper. Beaucoup sont morts à cause du SIDA ou de la drogue. La violence est encore plus dure quand on lit le récit de leur vie qu'il écrit au crayon dans les marges de ces tirages photographiques. La marge pour les marginaux.

Amos with Sean and Eddie

Ces images sont dures à l'extrême et extrêmement douces aussi. Il arrive au fond des bas-fonds à révéler la part de tendresse et d'innocence qu'il leur reste encore. Même si certains clichés ne sont pas dénués d'érotisme et d'ambivalence sexuelle, l'amour platonique qu'il leur porte semble en faire le succédané d'un père qu'il n'ont plus. Le photographe apparaît sur certains de ses clichés en compagnie de ses modèles. Ces images brouillent le rapport entre le photographe et son modèle et font de l'auteur le voyeur de son voyeurisme et de nous les voyeurs finaux. Les corps juvéniles qui sont déjà marqués par la drogue et la vie nous renvoient l'étrange paradoxe de ces jeunes garçons vulnérable qui devraient jouer à autre chose mais sont prématurément devenus des hommes.

Gilbert, 2001

Badertscher, à l'origine professeur de mathématiques, est un photographe autodidacte. Grâce au modeste héritage de ses parents en 1975, il a pu se consacrer à son art. Les séances de prise de vue sont rapides et improvisées, l'artiste marchant à l'instinct. Il trouve ses modèle dans la scène underground homosexuelle de Baltimore, proposant de poser à des drogués, prostitués, travestis. Son travail fait écho à celui de Larry Clark et Will McBride ou encore Nan Goldin. Badertscher est un photographe encore peu reconnu, qui a connu un début de notoriété grâce à une exposition en 1995 au musée d'Art de la Duke University organisée par son directeur qui découvrit par hasard le travail de l'artiste en visitant sa maison qu'il voulait acquérir. Au travers d'un travail qui mêle érotisme et juvénilité, Amos Badertscher nous laisse un témoignage sociologique poignant d'une Amérique à deux vitesses qui bien qu'extrêmement riche laisse ses enfants sur le pavé.